L’exploitation artisanale connait un développement notable au Burkina Faso. Cependant, elle a des conséquences néfastes sur l’environnement par la déforestation, les éboulements et la pollution de l’écosystème. Le gouvernement burkinabè a, conformément à un arrêté interministériel du 12 juillet 2010, officiellement fermé la campagne d’exploitation artisanale d’or 2021-2022 pour compter, du samedi 16 juillet 2022. Qu’en est-il du respect de cette mesure dans la province du Ioba, localité où foisonnent de nombreux sites aurifères artisanaux ? Constat.
En plein air, à Gnikpiéré, une bourgade située à une dizaine de kilomètres de Dano, province du Ioba, dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, s’étend à perte de vue un site d’exploitation artisanale de l’or. Il est 9 heures passées de quelques minutes, ce jeudi 21 juillet 2022, dans cet espace à l’allure d’un marché. Entre les petits hangars épars grouille du monde.
C’est un véritable centre d’affaires. Cette période de saison pluvieuse où le ciel ne tarde pas à déverser son trop-plein d’eau, ne semble pas inquiéter ce monde. Tous sont à la tâche avec pour seul objectif, tirer chacun sa pitance quotidienne. Aux abords, ce sont de petits enclos faisant office de bars où sont déjà disposées des tables et chaises qui attendent des clients. Plus loin, des femmes s’activent dans leurs restaurants de fortune pour proposer une gamme variée de mets aux orpailleurs. A un jet de pierre de ce « centre commercial », sont hissés d’autres hangars où des hommes et des femmes traitent le minerai, selon un schéma dont eux seuls ont le secret afin d’extraire le métal précieux. Pendant que certains concassent le granite à l’aide de marteaux, d’autres sont à la manœuvre pour capter quelques particules du métal jaune dans des récipients contenant un liquide rougeâtre. Sur les lieux d’extraction du minerai, des trous sont creusés pêle-mêle. Des jeunes gens sont au four et au moulin autour de ces gigantesques puits avec chacun une mission particulière. Pendant que certains sont à l’intérieur des fosses d’une profondeur variant entre 30 à 50 mètres, d’autres gravitent autour pour souvent communiquer avec leurs collègues de l’intérieur, à travers des tuyaux de communication.
L’exploitation se poursuit sans crainte
Même l’humidité du sol avec un grand risque d’éboulement n’inquiète pas ces « chercheurs » d’or. A la suite de notre interpellation pour en savoir plus sur ce qu’ils faisaient, une voix sèche retentit. « Nous téléphonons», lance un des trois orpailleurs d’un sourire narquois. Plus loin, des dispositifs mis en place dans plusieurs trous évacuent l’eau qui s’est emparée des galeries. A côté, des femmes en profitent pour recueillir, à l’aide de récipients, cette quantité de l’or bleu qui se déverse pour leurs besoins d’usage. Visiblement, l’exploitation de l’or se poursuit à Gnikpiéré, en dépit des mesures gouvernementales suspendant l’activité. En effet, l’exécutif burkinabè a annoncé, le 27 avril 2022, à l’issue du conseil des ministres, la suspension temporaire des activités d’orpaillage sur toute l’étendue du territoire national. Le gouvernement inscrit cette démarche dans les « actions urgentes à mener pour faire face aux enjeux sécuritaires ». En sus, il a, conformément à l’arrêté interministériel du 12 juillet 2010 portant interdiction de l’activité d’orpaillage, officiellement fermé la campagne d’exploitation artisanale d’or 2021-2022 pour compter du samedi 16 juillet 2022. Cette seconde décision est motivée par des risques d’éboulements en saison des pluies. Sur un deuxième site d’orpaillage dans le village de Mémer situé à une vingtaine de km à l’ouest de Dano, dans le département de Koper, c’est le même constat. Sur le site de Tasseré Ouédraogo, ce sont des bruits assourdissants des machines de broyage du minerai qui alertent les passagers de l’exploitation de l’or dans la zone. Pour y accéder, il faut obligatoirement monter patte blanche au contrôle de la sécurité. Au pied d’une colline, ce sont une vingtaine de personnes qui sont à la tâche. Sous un hangar, des jeunes récupèrent la poudre crachée par le broyeur. A travers un dispositif de tamisage semi-moderne, ils parviennent au bout d’une demi-heure à recueillir un liquide précieux.
La suspension concerne toutes les activités
« Ce récipient que vous voyez contient une quantité importante d’or. C’est la raison de ma présence. Je veille sur le contenu comme du lait sur le feu », lance le chef de la sécurité, Sibiri Zoubga, avec un brin de sourire. Le représentant du patron, Assimi Sawadogo, ajoute que l’équipe de sécurité est chargée de surveiller l’ensemble du site, y compris les centaines de sacs de minerais entreposés sur la colline au bord des trous. Concernant la suspension des activités, M. Sawadogo laisse entendre que la mesure est respectée. « Le travail dans les trous est suspendu.
Ce qui se passe ici concerne uniquement les minerais sortis des trous avant la décision. Nous avons voulu les traiter avant de suspendre », assure-t-il. Un avis que ne partage pas Daouda Maïga, le chef de bureau de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS). Pour lui, la suspension concerne l’ensemble des activités d’orpaillage, notamment l’extraction, le traitement et la commercialisation. Car, dit-il, il est difficile d’empêcher une personne qui est dans la zone de traitement de se retrouver dans le champ d’extraction. Tongoba Diabouga est propriétaire de plusieurs puits sur le site de Gnikpiéré. Cela fait plus de deux ans qu’il intervient sur le site. Compte tenu de la rareté du métal jaune, M. Diabouga soutient qu’il faut creuser entre 120 à 140 mètres de profondeur pour espérer atteindre le filon. « J’ai déjà dépensé 53 millions F CFA et je pense avoir un retour sur investissement avec une marge bénéficiaire conséquente », explique-t-il. Pour tirer les marrons du feu, il dit employer environ 70 personnes.
Des contrôles inopinés
Compte tenu de cette période de pluies, c’est avec regret qu’il est obligé de suspendre ses activités. « J’ai des liens de parenté avec la plupart des jeunes qui travaillent avec moi. Même si le gouvernement ne suspendait pas les activités, j’allais le faire. Actuellement, nous nous attelons, en ce moment, à évacuer l’eau des trous pour ne pas endommager les galeries », explique Tongoba Diabouga. Pour le préfet de Dano et par ailleurs président de la délégation spéciale communale, Samadé Léonard Gougou, un arrêté au niveau départemental est pris chaque année pour suspendre l’exploitation artisanale, sur une période allant du 1er juin au 31 octobre. « J’ai appelé les responsables des différents sites pour leur remettre une copie », confie-t-il. A l’en croire, habituellement, des sorties sur les sites sont effectuées pour annoncer officiellement la fermeture. « Cette année, cela n’a pas encore été fait parce que nous étions à Gaoua pour écouter le ministre avant la mise en œuvre de ses directives », relève-t-il. A son avis, lorsque l’arrêté est pris, sa mise en œuvre est confiée au commandant de la brigade territoriale de gendarmerie, au commissaire central de police nationale de la ville de Dano et au chef de service départemental de l’environnement. « Des contrôles inopinés sont effectués pour réprimer les éventuels contrevenants », affirme M. Gougou. Cependant, le préfet reconnait que les orpailleurs ont souvent des astuces pour contourner la mesure. Pour ce faire, il précise qu’il existe un dialogue permanent avec les acteurs miniers. « On ne peut pas avoir la mainmise sur tout, mais pour l’essentiel, nous avons l’information. Au-delà, nous avons le comité de gestion qui est tenu de rendre compte sur ce qui se passe sur le site », ajoute-t-il. De son côté, le préfet du département de Koper, Yacouba Barro, confie que l’arrêté est plus ou moins respecté dans sa zone de compétence.
Prévoir un mécanisme de veille 24 H/24
Aux dires de M. Barro, dans le département, trois sites officiels sont organisés et disposent de documents administratifs nécessaires pour leur fonctionnement. « Le problème est que les sites exploités de manière informelle restent difficiles à réglementer. Cette exploitation informelle se fait un peu partout sur l’ensemble de la zone. Les populations essaient de détecter avec des machines les espaces à forte teneur d’or et elles se lancent dans l’exploitation. Même si elles détectent l’or dans les champs des paysans, elles commencent l’exploitation souvent avec la complicité des propriétaires », déplore-t-il. Pour le respect de la mesure, il faut mettre un mécanisme en place pour surveiller ces sites 24H/24, préconise le préfet. Car, dit-il, pendant la période de fermeture, surviennent quelquefois des éboulements sur les sites. Ces cas malheureux, fait-il savoir, montrent que certains exploitent les sites de manière clandestine pendant la nuit.
A ce propos, M. Barro invite les acteurs de la sécurité et l’ANEEMAS à s’y impliquer pour éviter des drames. Dans ce sens, Daouda Maïga de l’ANEEMAS interpelle l’ensemble des acteurs à respecter les dispositions dudit arrêté. « Cette année, le ministre en charge des mines, lors de ses tournées régionales, a encouragé les orpailleurs au respect strict de l’arrêté. 13 concertations au niveau régional et une rencontre au niveau national ont été organisées. Les orpailleurs ont pris des engagements pendant la cérémonie de fermeture des sites, le 16 juillet passé, et il faut les respecter », souhaite-t-il. A l’écouter, un programme est en cours pour amener les acteurs à respecter la loi. Sur ce point, le chef de service départemental de l’environnement, de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement de Dano, Aïcha Ouédraogo/Sawadogo, rassure que des actions sont menées sur le terrain pour prévenir de telles situations. « Notre direction fait de son mieux pour que la mesure soit respectée. Nous faisons souvent des patrouilles pour dissuader et sensibiliser les acteurs », précise le contrôleur des eaux et forêts.
Abdoulaye BALBONE