Finalement Thomas Sankara peine à mourir tant le monde cherche toujours à s’en nourrir. Plus de trente ans après sa mort, le mort vaut plus que de l’or aux yeux de beaucoup de vivants.
Sankara a donc survécu à la mort, puisqu’il vit toujours dans la conscience collective des dignes filles et fils du Burkina et son nom fait même vivre de petits esprits qui en ont fait un fonds de commerce. On a même l’impression qu’il suffit de prononcer le nom de Sankara ou de le citer en milieu de discours pour aromatiser son propos et haranguer les foules. Parce que Sankara fait foi et sérieux. Parce que plus que cent carats, Sankara est comme le vin qui se bonifie avec le temps même au-delà du temps. Qui a dit que la mort était la fin de toute chose ?
Le nom de Sankara est devenu un slogan, le label de l’intégrité et même ses détracteurs s’obligent à lui reconnaître cette qualité. On a beau évider sa prétendue tombe et exhumer ses restes pour le soumettre à l’épreuve d’une science sans conscience, même la génétique se mêle les pinceaux entre les dédales de l’ADN.
Mais Sankara n’était pas un génie ou un extraterrestre ; il n’était pas le plus intelligent ou le plus fort de sa génération ; il était simplement le plus courageux et le plus engagé. Entre sa parole et ses actes, il y avait toujours un geste concret. Loin des tapis rouges et des salons feutrés des palais luxueux, il n’avait d’yeux que pour le peuple. Il croyait plus au monde des idées qu’aux idées reçues du monde. Pour lui, tout ce qui vient de l’esprit de l’homme est réalisable par l’homme pour peu que celui-ci ait de la volonté. De nos jours, les leaders qui se sont inspirés de la vision de Sankara ont fait bouger les lignes du développement dans leur pays.
Il y en a même qui n’ont pas eu besoin de créer un parti politique pour être adoubés et élevés au rang de héros ; leurs actes parlent plus que leur discours. Tout comme Sankara, ils ne sont pas venus au pouvoir pour faire le plein des réservoirs. Il suffit de regarder autour de nous pour se rendre compte que Sankara est toujours en vie, mais ailleurs. Ça saute tellement à l’œil que sous d’autres cieux on a l’impression qu’il s’est réincarné. Finalement, il ne suffit pas de créer un parti politique sous le nom de Sankara pour être en grand apparat. Il ne suffit pas de brandir le poing rempli de butin en l’air et crier « la patrie ou la mort » sans même savoir comment vaincre son propre égo. Sankara a lu Lénine, Marx ou Mao et même Castro et Che Guevara, mais il ne s’est pas contenté de les citer dans ses discours. Il les a imités dans les faits. Ce n’est donc pas en le déifiant que nous allons le magnifier. C’est en le ressuscitant en nous que nous allons le réhabiliter. Ce n’est pas en faisant de son nom une formule que nous réussirons le tour de magie. Ce n’est pas en placardant un grand poster de l’homme dans sa chambre ou au bureau qu’on aura son envergure. Ce n’est même pas en érigeant le plus grand des monuments en son nom que nous serons un grand peuple.
C’est en faisant comme lui ; c’est en osant comme lui ; c’est en étant vrai avec nous-mêmes. Le reste n’est que fioritures et mensonge ! Nous ne construirons pas ce pays avec de la nostalgie puérile et des souvenirs futiles. Nous ne construirons pas une murette pour la nation avec le nom de Sankara si notre engagement repose sur le ballonnement du ventre. En dehors de l’action, il n’y a point de sankarisme qui vaille tant que la politique portera l’hérésie de la langue de bois. Hormis l’exemplarité, il n’y a point de leçon à apprendre de Sankara, tant que l’école passera le temps à faire réciter par cœur plutôt qu’à apprendre à avoir du cœur. Nous ne ferons rien pour ce pays, tant que nos gros diplômes nous empêcheront de nous courber pour ramasser les ordures, creuser ou curer les fossés dans nos quartiers, pour boucher les nids de poules de nos avenues, pour nettoyer nos lieux de service. Nous ne serons dignes de Sankara que lorsque nous aimerons vraiment ce pays au point de vider nos poches plutôt que de les remplir. Nous serions tous des Sankara si nous faisions ce que nous disons et vice versa.
En dehors de la volonté, il n’y a pas de patriotisme, parce que Sankara maniait aussi bien la plume que le verbe, la daba que la pelle, la guitare que l’arme. Il faut donc vite passer à l’action avant que notre intégrité en papier ne soit froissée, mâchée et crachée. Il nous faut un vrai sursaut et une once d’amour-propre pour ce pays au lieu de nous morfondre ou nous refugier dans la fiction d’une intégrité en mal d’actualité et sur fond de publicité sans vérité. Sankara est vivant mais nous avons même peur de l’imiter.
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr