Le président français, Emmanuel Macron, réélu en avril dernier, boucle, ce jeudi 28 juillet 2022, une mini-tournée africaine qui l’a conduit respectivement au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Ce déplacement a été placé sous le thème : « La crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine, les enjeux de production agricole et les questions sécuritaires ».
Au Cameroun, pays qui représente une opportunité d’investissements pour la France, Macron et son homologue, Paul Biya, au pouvoir depuis 40 ans, ont discuté du secteur agricole, sur lequel, l’Hexagone voudrait mettre l’accent. Ils ont parlé évidemment de la guerre en Ukraine et de ses conséquences néfastes. Macron a surtout vendu son initiative Food & Agriculture Resilience Mission (FARM), censée prévenir les effets désastreux de cette guerre sur la sécurité alimentaire mondiale.
Aussi, les deux dirigeants ont-ils abordé les questions sécuritaires au Cameroun, notamment les exactions du groupe terroriste Boko Haram dans le Nord et les velléités séparatistes dans l’Ouest anglophone. A Cotonou, l’hôte de marque français a également tablé sur la sécurité, en plus de la culture. Depuis fin 2021, le Nord du Bénin, notamment la zone du parc de la Pendajari, est sous les feux des djihadistes. Plus d’une vingtaine d’attaques terroristes y ont été perpétrées, avec malheureusement une dizaine de morts dans les rangs de l’armée béninoise.
La menace terroriste s’étant étendue aux pays côtiers, la France, militairement engagée en Afrique de l’Ouest, est tout aussi préoccupée que ses partenaires. Talon et Macron ont, par ailleurs, échangé autour de la culture, secteur dans lequel la France et le Bénin entretiennent un partenariat prometteur. En novembre 2021, Paris a restitué 26 œuvres d’art pillées par les troupes coloniales françaises dans le palais d’Abomey, avec en prime un appui financier pour la construction d’un musée. En Guinée-Bissau, où il séjourne brièvement, ce jeudi 28 juillet, avant son retour au bercail, Macron et son homologue, Umaro Sissoco Emballo, doivent évoquer les questions de gouvernance et de sécurité en Afrique de l’Ouest.
Emballo a récemment hérité de la présidence en exercice tournante de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un poste stratégique qui vaut le détour à Bissau. Les coups d’Etat au Mali, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso vont indéniablement meubler les échanges, tout comme la lutte contre le terrorisme dans la sous-région ouest-africaine, la France étant aux avant-postes. A considérer l’agenda décliné par la présidence française, une place n’a pratiquement pas été accordée aux questions de démocratie et des droits humains, dans les pays visités, surtout au Cameroun et au Bénin, où il y a pourtant matière à débat.
A Yaoundé, Paul Biya, qui est en passe de mourir aux affaires, n’est pas un promoteur de l’alternance démocratique. A Cotonou, les opposants, qui n’ont de cesse de dénoncer les procès politiques et leur musellement, accusent Talon d’avoir fait reculer, de plusieurs années, la démocratie béninoise. Ceux qui s’attendaient à ce que Macron, à la tête d’une puissance démocratique, donne des leçons à ces gouvernants africains, doivent être scandalisés que de tels sujets passent sous silence. C’est mal connaitre la Realpolitik et ses implications. Au-delà des centres d’intérêts, ce voyage du président français revêt un grand enjeu, redorer le blason de la France, en perte d’influence sur le continent.
La politique de la France en Afrique est de plus en plus décriée, au point qu’un sentiment anti-français est né. La situation est telle, que l’engagement de l’Hexagone dans la lutte contre le terrorisme au Sahel a pris un coup. Plusieurs organisations de la société civile et politiques africaines accusent le pays de Macron de jouer à un double jeu : celui de complice présumé des terroristes et de partenaire privilégié des Etats victimes du phénomène.
Cet environnement de suspicion et de méfiance explique, en partie, le divorce avec la junte malienne au pouvoir actuellement, qui ne veut plus sentir la France. Pour Macron, la nécessité de repositionner la France en Afrique s’impose, face au regain d’intérêt pour la Russie de Vladimir Poutine. Le sentiment anti-français semble profiter à la Russie, qui reprend du poil de la bête en Afrique, en atteste sa forte implication dans les crises sécuritaires en Centrafrique et au Mali, où le groupe Wagner a droit de cité.
Le Cameroun a également un penchant pour la Russie, en témoigne la signature d’un accord de coopération militaire, courant avril 2022. D’autres pays pourraient aussi aller dans ce sens, malgré tout ce qui se dit. La Russie est considérée comme le plus gros fournisseur d’armes à l’Afrique, depuis 2020, devant les Etats-Unis, la Chine et la France. Le Mali, l’Algérie et l’Egypte ont déjà acquis des armes auprès de la Russie, qui fournit aussi des mercenaires.
En prenant son bâton de pèlerin, Macron, qui n’ignore pas l’environnement peu favorable dans lequel son pays évolue, espère inverser la tendance. Réussira-t-il à soigner l’image de la France dans un contexte où la jeunesse africaine souhaite des relations totalement décomplexées avec les puissances occidentales ?
Kader Patrick KARANTAO