La « Béréga » est l’un des nombreux affluents du fleuve Comoé dans la région des Cascades. Alimenté dans le temps par de nombreuses sources d’eau de la zone de Bérégadougou, le niveau de ce cours d’eau a baissé de nos jours. D’une dizaine il y a quelques décennies, le nombre de sources assurant sa pérennité est passé à deux. Des initiatives locales essaient tant bien que mal de sauver cette ressource en eau avec l’implication des paysans pour assurer sa pérennité.
Bérégadougou, localité située à une quinzaine de km de Banfora dans la région des Cascades. Il est 10h30. Le ciel est nuageux. Un temps correspondant à cette période de l’année dans cette zone où la pluviométrie peut aller jusqu’à 1000 mm par an. Nous sommes, le lundi 23 mai 2022, dans cette commune rurale de la province de la Comoé, célèbre par l’usine la nouvelle Société sucrière de la Comoé (SN SOSUCO) et les champs de cannes à sucre qu’elle abrite. Les champs de cannes occupent 4 000 ha sur les 10 000 dont dispose la société.
A une dizaine de kilomètres des lieux se trouvent les berges de la rivière « Béréga ». Partis de la mairie, nous rejoignons l’axe Bérégadougou-Orodara. Avec nous, le président du comité local de protection des berges du cours d’eau, Albert Hébié et Adama Sombié, technicien et membre de l’Association « Wouol ».
Après une quinzaine de minutes de route sur la voie rouge, nous bifurquons à droite. A quelques dizaines de mètres, nous débouchons sur une végétation bien fournie où rivalisent arbres, arbustes et herbacés, le tout entouré par une clôture de fils barbelés. C’est le début de la forêt-galerie bordant les berges de Béréga. Rien n’a été planté, c’est le résultat d’une régénérescence naturelle de la végétation.
L’historique de cette forêt reconstituée, remonte au début des années 1990. C’est avec l’accompagnement technique et financier successif de six projets et organisations non gouvernementales qu’elle a été délimitée à l’aide de bornes et clôturée en 1991, nous apprend le président du Comité de protection des berges.
Cette forêt est le symbole d’une initiative locale de protection de ressources en eau. Elle protège en effet, la « Béréga » et une des sources qui l’alimente.
La forêt-galerie menacée
Premier constat dans notre randonnée pédestre, la clôture de barbelés a cédé à quelques endroits. Un sabotage, se convainc d’office Adama Sombié. « Rien qu’en mars dernier, la clôture était intacte », nous informe-t-il.
Les premières conséquences, des traces d’animaux domestiques se laissent voir dans cette forêt qui, il y a peu de temps, était presque impénétrable. A quelques dizaines de mètres plus loin en bordure de la forêt, nous apercevons une barrière de cailloux sauvages cimentés par la terre du ruissellement. Elle a été mise en place pour ralentir le courant d’eau pluviale afin d’éviter l’ensablement du lit du cours d’eau et de la source située dans la forêt.
Nos guides n’étaient pas au bout de leur déception du jour. Nous apercevons une pile de bois. Un gros tronc de Gmélina (Ndlr : une plante exotique) a fait les frais d’une tronçonneuse mécanique, il y a quelques jours. Nos amis du jour ne savent pas qui est exactement l’auteur de cet écocide, mais soupçonnent le propriétaire du verger d’à côté. « On lui a permis d’exploiter son verger, mais pas de couper les arbres autour », se plaint Adama Sombié.
Nous poursuivons notre parcours dans la végétation luxuriante. Un peu en profondeur, nous apercevons une source d’eau asséchée il y a environ une vingtaine d’années. A la place de l’eau un tas débordant de sable. Le vieux Albert l’a vu couler à flots, suinter puis s’assécher en 2005.
Nous quittons le côté Est de la forêt pour l’Ouest. Le lit du cours d’eau y est plus facilement accessible. Mais avant le lit, nous traversons un verger de manguiers et de palmiers. C’est la période des mangues. L’arboriculture est apparemment la seule culture tolérée au bord du cours d’eau.
Le régime de la source a fortement baissé
Nous descendons jusqu’au lit du cours d’eau. L’eau coule à fleur de sol, permanente et limpide, avec un faible débit. Le président du comité de protection des berges se rappelle toujours les beaux jours de la « Béréga ».
La soixantaine révolue, un peu voûté, mais toujours solide sur ses deux pieds. Il se souvient que dans le temps, à cette même place, le centre du lit n’était pas aussi facilement accessible, la profondeur du cours d’eau pouvait avoisiner les deux mètres. Le bruit des motopompes, à l’époque, était presque continu jusque tard dans la soirée.
Les producteurs, à l’aide de ces engins, utilisaient l’eau pour l’irrigation de leurs champs. Ce lundi matin, aucun bruit de motopompe jusqu’à ce que nous quittions les lieux. Ce luxe n’est plus permis de nos jours, le régime de la source a fortement baissé. Pour les deux amoureux de la nature qui guident nos pas au bord de la « Béréga », cette baisse du flux de la source se justifie.
De 1 300 mm en 1974, la zone ne reçoit aujourd’hui qu’une pluviométrie moyenne annuelle de 900 à 1000 mm, font-ils remarquer. Selon les chiffres de la direction régionale de l’Eau et de l’Assainissement des Cascades, la « Béréga » est alimentée par deux des 38 sources que compte le sous-bassins de la Comoé pour un débit total de 123,2 millions de m3 par an.
Non-respect de la bande de servitude
Pour la contrôleure des Eaux et Forêts, le lieutenant Mariam Tanou, par ailleurs chef du service départemental des eaux et forêts de Bérégadougou, l’ensablement du cours d’eau a fait disparaître plusieurs sources d’eau dans la zone. « Dans un passé pas trop lointain, Bérégadougou regorgeait de plusieurs sources d’eau (six au total, Ndrl), mais actuellement, il n’y a que deux », se désole-t-elle.
Selon la technicienne de l’environnement, l’action anthropique en est la cause principale. « Il y a malheureusement des activités agricoles qui se mènent non loin des cours d’eau », regrette-t-elle.
Or, conformément à la règlementation de l’occupation des espaces, le long des cours d’eau, la bande de servitude est de 100 mètres de part et d’autre du lit du cours d’eau, pour toutes activités susceptibles de favoriser l’ensablement. Pour le cas de la « Béréga », la bande de servitude n’est pas totalement respectée. 50 mètres sont laissés en amont et 100 mètres en aval, fait remarquer la contrôleure des Eaux et Forêts.
« Avant l’arrivée du projet de protection en 1991, les paysans menaient déjà des activités le long des berges. Ce qui fait qu’ils ont des arbres fruitiers à 50 mètres du lit du cours d’eau », explique le président du comité local de protection des berges. Mais à défaut de les déguerpir, leurs activités ont été encadrées. Seule l’arboriculture est permise dans la bande de servitude.
L’arboriculture, alternative écologique
De l’avis du président de l’Association « Wouol » et membre fondateur de la Société coopérative agricole de Bérégadougou (SOCAB) Antoine Sombié, il est l’un des tout premiers cadres voltaïques de la SOSUCO en 1969, où il démissionne pour se consacrer à l’agriculture. Du haut de ses 75 ans et ancien président de la Chambre régionale de l’agriculture des Cascades de 2003 à 2011, il explique que les champs de la SOSUCO ayant occupé la majeure partie des terres de Bérégadougou, la plupart des personnes qui voulaient cultiver ne savaient où aller si ce n’est le long du cours d’eau.
« C’est à partir de la création de la SOCAB que nous avons eu l’idée de travailler avec les coutumiers, les propriétaires terriens et l’ensemble de la population pour une prise de conscience sur l’état de dégradation des berges de la Béréga», se remémore-t-il. Ce déclic confie-t-il a permis de sensibiliser les populations sur la nécessité du cours d’eau pour leur survie. « Il fallait qu’elles se mettent en tête que si la rivière n’est pas là, tôt ou tard, nous aurons des problèmes », se convainc-t-il.
2000 emplois créés
La coopérative a jeté, à l’en croire, son dévolu sur l’arboriculture comme alternative écologique. Cette forme d’agriculture prêchée par la SOCAB connaitra une forte adhésion. De sept personnes au début, l’effectif des producteurs installés sur le long des berges est passé à près de 80 à ce jour.
« Tous les producteurs installés sur le long des berges sont engagés à respecter scrupuleusement la bande de servitude de 100 mètres », assure avec fierté le président de « Wouol ».
Avec un croquis à l’appui, il présente l’occupation géographique des berges par les producteurs. Le manguier et l’anacardier dominent les champs. A écouter, ces productions nourrissent leur homme. Antoine Sombié dispose lui-même de 50 ha de vergers.
Albert Hébié est lui, propriétaire de 19 ha de vergers de manguiers depuis 1974. La culture de la mangue est rentable, à l’en croire. Il n’a pas un chiffre exact sur son rendement, mais il est sûr que sa capacité de production varie entre 20 et 50 tonnes par an. Pour plus de valeur ajoutée à leurs productions de mangue et d’anacarde, Antoine Sombié et ses associés ont intégré la transformation de ces produits.
En la matière, la SOCAB se réclame la pionnière au Burkina Faso. La transformation de l’anacarde serait partie de Bérégadougou en 2006. A ce jour, la ville dispose d’une dizaine d’unités de transformation de mangue et d’anacarde. Dans ces unités, travaillent près de 2000 employés dont environ 150 régulièrement déclarées. Ces unités se revendiquent même le deuxième employeur dans la région des Cascades après la SOSUCO.
Selon une confidence du président de « Wouol », trois grandes structures de transformation de la mangue sont prévues à court terme, avec une capacité annuelle de 500 tonnes de mangue séchée pour un chiffre d’affaires pouvant avoisiner deux milliards de francs CFA.
La protection des berges est une priorité, une école pour ces producteurs de Bérégadougou. Pour eux, elle pose une problématique : comment faire pour que le paysan soit riche sur son terroir tout en exploitant et protégeant les ressources en eau.
Alpha Sékou BARRY
alphasekoubarry@gmail.com
La Police de l’eau, bras armé dans la protection des ressources en eau
La direction régionale de l’Eau et de l’Assainissement des Cascades dispose d’une Police de l’eau qui veille au respect de la règlementation en matière de protection des ressources en eau dans la région. Cet organe est composé de deux Polices, la Police judiciaire chapeautée par le procureur du Faso et la Police administrative qui est composée de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale, des services de l’environnement de l’agriculture, dirigée par la direction régionale de l’Eau. Si malgré la sensibilisation, il n’y a pas de changement, la Police de l’eau fait recourt à la répression.
A.S.B.
L’Agence de l’eau n’a pas pouvoir de sanction
Selon la direction générale de l’Agence de l’Eau des Cascades, l’Agence assure la protection des milieux aquatiques et l’utilisation rationnelle des ressources en eau dans sa zone de compétence. Dans cette mission, les Comités locaux de l’eau (CLE) sont les bras locaux de l’Agence. Ils proposent à l’Agence des programmes d’activités en matière de préservation des ressources en eau, qui les finance dans la mesure du possible. L’Agence prélève aussi la Contribution financière en matière d’eau (CFE), les taxes sur l’eau selon le principe du pollueur-payeur. L’espace de compétence de l’Agence des Cascades s’étale sur trois régions administratives, le Sud-Ouest (6,2%), les Haut-Bassins (7,2%) et les Cascades (86,2%). L’Agence est plus dans l’accompagnement et la sensibilisation et n’a pas pouvoir de sanction.