Le Président de l’ATR/DI Issaka SOURWEMA Dawelg Naaba Boalga

Cette tribune est la 1ère partie de la réflexion du président de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI), Issaka SOURWEMA Dawelg Naaba Boalga. C’est une opinion digne d’intérêt qui aborde la question de la réconciliation dans une vision pragmatique. La seconde partie vous serez publiée demain 24 février 2020.

Que l’on soit pour ou contre la justice classique ou la justice transitionnelle pour parvenir à la réconciliation nationale ou que l’on estime qu’au Burkina Faso, il n’y a nullement un problème de réconciliation nationale, le fait est là que le thème ne laisse personne indifférent. Or, en société, ce qui constitue une préoccupation (qu’elle soit réelle ou ressentie) ne peut ni ne doit être éludé. C’est le sens de la présente réflexion de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI). La première partie qui est relative aux faits que sont les positions de quelques animateurs de la vie politique et de la société civile vous est proposée dans les lignes qui suivent.

 

Voilà près de quatre décennies que la réconciliation des Burkinabè entre eux et entre eux et leur histoire est une constante. Toutefois, il ressort qu’elle se pose avec plus acuité de nos jours du fait de l’accumulation des fractures sociopolitiques datant de l’avènement, le 07 novembre 1982 du Conseil de salut du peuple (CSP) I et II (correspondant respectivement à l’avant et à l’après-arrestation du capitaine Thomas Sankara) jusqu’à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a donné naissance à la Transition puis à l’élection de Roch Marc Christian Kaboré à l’issue de la présidentielle de 2014 sous les couleurs du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP).

En écoutant la chronique de la cité, le vécu est partagé qui veut que nous soyons au paroxysme des contradictions qui minent notre société avec les conflits intra et intercommunautaires, l’extrémisme violent généralement précédé par une radicalisation subtile ou tonitruante, les frustrations politiques légitimes vécues par nombre d’opposants à la Révolution démocratique et populaire (RDP), les victimes ou les ayants-droit des victimes des crimes de sang des presque 40 dernières années et plus récemment les morts et les blessés tous bords confondus des 30 et 31 octobre 2014 et du putsch manqué des 15 et 16 septembre 2015; pour ne citer que ces éléments-là!

Certes, ils ne sont pas numériquement négligeables les Burkinabè qui estiment qu’il n’y a pas matière à réconciliation nationale et que la rigueur de la loi doit prévaloir. Contrairement à ce que l’on peut penser ils ne manquent pas d’arguments poignants pour corroborer leurs positions. Cependant, ce n’est pas tant la justesse ou la légitimité des thèses des partisans de la réconciliation qui importent que leurs ressentis et leur perception de l’ordre social des choses. Ces ressentis et ces perceptions, si tant est qu’il ne s’agit que de cela, peuvent impacter négativement l’épanouissement de la collectivité tout entière : l’action des groupes armés, nombre de revendications politiques ou syndicales… Et si, d’une façon ou d’une autre, il ne leur est pas prouvé, preuves à l’appui, que leurs sentiments ne sont pas fondés, les décisions de justice les plus justes peuvent se révéler inopportunes si les condamnés n’en épousent pas les bien-fondés. Le cas de la destruction le 07 septembre 2020, suite à une décision, d’une mosquée et d’une école franco-arabe à Pazanni (secteur 37, arrondissement/Ouagadougou) illustre ce type de situation en dépit du fait que la gravité des faits n’est pas du tout la même. Ce faisant, il n’est pas illégitime de se demander ce qu’il importe de faire de sorte que la justice qui est une voie pour arbitrer, sans parti pris, les rapports entre les parties en conflit en toute indépendance et en adéquation avec l’intérêt général pour une société de paix et de concorde ne se transforme pas, en son corps défendant, en problème pour toute la collectivité politique. C’est pourquoi, la réconciliation est à l’ordre du jour, quelle que soit la forme qu’elle prendra. Un autre fait qui s’inscrit dans le même sens est la promesse de campagne que le président du Faso élu Roch Marc Christian Kaboré a faite à ce sujet : c’est en effet une des premières priorités de son second programme quinquennal et il devra joindre l’acte à la parole.

Un bref tour d’horizon sur la question chez les politiques

Le 31 octobre 2020 dernier, le programme du candidat Roch Marc Christian Kaboré présenté par son parti politique, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), faisait ressortir dix grands chantiers dont le deuxième concerne, entre autres, la réconciliation des Burkinabè et la consolidation de la paix et de la cohésion sociale. Au lendemain de son élection, il a confirmé cela le 27 novembre 2020 sur France 24 en disant que pour «Tout ce qui concerne les questions sécuritaires, de réconciliation nationale… nous allons nous atteler très rapidement». On connaît maintenant le début de la suite avec la nomination de Zéphirin Diabré comme ministre d’État auprès du président du Faso chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale.

Ce dernier, alors qu’il était encore le chef de File de l’opposition politique, déclarait le 30 septembre 2020 que «La construction de la réconciliation nationale doit se faire sous le triptyque vérité-justice-réconciliation [en rassemblant] toutes les forces-vives de la nation pour réfléchir sur la trajectoire…pour le retour de la paix et la réconciliation.» Il a ajouté que «La réconciliation doit surtout rétablir la vérité sans complaisance… [Et] éviter ’la vérité des vainqueurs» «Les Burkinabè doivent savoir qu’il y a des concitoyens qui ont souffert dans leur chair et dans leur esprit du fait des agissements des régimes politiques passés et actuels» a-t-il conclu.

Eddie Komboïgo, quant à lui, écrivait dans son programme de candidat à la présidentielle posté par Netafrique.net le 31 octobre 2020 que «Dans le domaine de la réconciliation nationale, les crises socio-politiques qui ont jalonné les six (06) dernières décennies de notre histoire socio politique ont laissé des stigmates plus ou moins profonds sur notre tissu social dont la reconstitution constitue une des préoccupations majeures et urgentes de notre peuple.  Pour ce faire, la réconciliation nationale demeure la réponse   qui   correspond   le   mieux   aux   attentes   du   peuple burkinabè.»

Enfin, du point de vue du Premier ministre Christophe Dabiré qui a prononcé sa Déclaration de politique générale le 04 février 2021 à l’Assemblée nationale, «la réconciliation nationale… constitue un enjeu majeur pour mon gouvernement. C’est l’ampleur de ce défi qui a commandé la nomination d’un ministre d’Etat, ministre auprès du Président du Faso et qui en a la charge. Une des actions phares pour relever ce défi est de réussir l’organisation du forum de réconciliation nationale annoncé par le Président du Faso, en s’appuyant sur les résultats [du travail effectué] par le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale».

Qu’en pense la société civile ?

Au sein de la société civile, les leaders religieux et les coutumiers (même si l’appartenance de ces derniers à la société civile est sujet à caution) ont livré à toute la nation burkinabè, le vendredi 10 janvier 2020 à partir du palais de Sa Majesté le Moogho Naaba Baongho un message. De leur appréciation, il ressort qu’«Au niveau politique national, la situation nous appelle à définir de nouveaux chemins de dialogues. Ce dialogue doit être inclusif et impliquer tous les citoyens à travers une synergie d’actions porteuse d’un plus grand engagement au niveau national. Un dialogue profond passe par une réconciliation ouverte et effective. La paix ne peut être atteinte sans réconciliation.»

Avant eux, a été lancé le samedi 15 juin 2019 dans le village de maître Titinga Pacere l’appel pour la sauvegarde de l’unité nationale et le vivre ensemble et contre l’incitation aux conflits ethniques religieux et la stigmatisation, dénommé, “l’appel de Manéga”. Les initiateurs préconisaient, « Dans le souci de parvenir à l’apaisement, à la décrispation et à un environnement politique et social favorables à la tenue d’élections apaisées en 2020 et d’une entente nationale durable…, un dialogue direct inter-Burkinabè, un forum de réconciliation nationale inclusif auquel prennent part les exilés politiques… »

S’agissant du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) né au lendemain du massacre des Peulh dans la commune de Barsalogho consécutivement à l’assassinat du chef coutumier du village de Yirgou/Barsalogho/Centre-Nord et de cinq (05) de ses proches le 1er janvier 2019, son porte-parole le Dr Daouda Diallo estime, comme le ministre d’Etat auprès du président du Faso chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale Zéphirin Diabré que la réconciliation nationale ne concerne pas seulement les politiques. Ainsi, dans les colonnes du journal Lefaso.net du 14 janvier 2021, il explicite ses propos : «Aujourd’hui, au Burkina, il y a des groupes sociaux qui se sentent marginalisés. Même au sein d’un même groupe social, il y a des discriminations, des formes de stigmatisation et tout cela est un handicap pour la construction d’une nation véritable et pour un développement réel».

Quant à l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP) des 30 et 31 octobre 2014, dont le président M. Dramane Ouédraogo s’exprimait dans une interview parue dans L’Observateur Paalga n° 10 273 du jeudi 28 janvier 2021, «Il faut qu’on sache qui a fait quoi et qui doit pardonner à qui…La question de la justice telle que les gens l’abordent, c’est comme s’il fallait forcément juger quelqu’un et le condamner à 20 ou 30 ans de prison. Or, quand nous disons vérité, justice et réconciliation, nous voulons que les gens acceptent de reconnaître leurs actes, qu’ils plaident coupables, que les victimes sachent au moins ce que la personne a posé comme actes et que malgré cela, on accepte de lui pardonner.»

Enfin, pour le Balai citoyen, «Le peuple burkinabè n’a pas un problème de réconciliation nationale. Qui veut-on réconcilier avec qui ? De quoi parlent ces agitateurs de la réconciliation nationale. Si ce n’est de l’impunité à accorder à ceux qui ont commis des crimes économiques ?»

Le Président

Issaka SOURWEMA

Dawelg Naaba Boalga

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