Le 3ème président de la Ve République française, Valery Giscard d’Estaing est décédé le 02 décembre 2020 à l’âge de 94 ans, dans sa maison d’Authon, dans le Loir-et-Cher, des suites du Covid-19. Succédant à Georges Pompidou et précédant François Mitterrand, l’ancien président français n’aura exercé qu’un seul septennat, entre 1974 et 1981. Il aura incarné un changement d’époque pour la Ve République.
Pendant plus de trente ans, il aura été « l’Ex ». Valéry Giscard d’Estaing, qui ne prisait guère les familiarités, est ainsi désigné par les Français depuis son départ de l’Élysée, un certain mois de mai 1981. Son « Au revoir » soigneusement mis en scène, avec un plan fixe sur son fauteuil vide, a marqué les esprits. Le premier président à avoir compris l’importance de l’image télévisée, et à l’avoir travaillée, montrait là qu’il maîtrisait son sujet. Les Français en étaient restés sans voix.
Élu président de la République à 48 ans, un jouvenceau pour la France d’alors, Giscard le candidat des Républicains indépendants (RI) l’emporte de peu (50,81%) face au socialiste François Mitterrand, en mettant en avant ses compétences en économie. Sujet pour le moins austère et chasse gardée des spécialistes dans les années 1970. Il parvient à coups de démonstrations limpides, alignant les chiffres au feutre sur de grandes feuilles de papier verticales, à bluffer les Français qui voient en lui l’homme de la situation.
« Giscard à la barre »
Peu d’hommes politiques de premier plan auront fait autant d’efforts pour donner une impression de proximité avec le peuple. Une démarche guère payante puisque personne comme lui n’aura été caricaturé à ce point en aristocrate. Giscard s’invite à dîner chez les Français moyens, Giscard joue de l’accordéon, Giscard s’entoure de ceux qu’on n’appelait pas encore « people », mais Giscard conserve ses manières surannées et sa diction d’un autre temps. Quoi qu’il fasse, c’est un homme de « la haute » et son nom à particule, racheté par son père Edmond dans les années 1920 pour accoler l’élégant d’Estaing au plébéien Giscard, ne fait rien pour casser son image de technocrate élitiste.
D’autant plus qu’il prend pour Premier ministre Jacques Chirac, qui aura beau jeu d’user du contraste entre lui, l’homme simple qui tutoie tout le monde à part sa femme, et le président froid et précieux. Le tandem improbable tiendra deux ans et Chirac, en 1976, démissionnera avec fracas, estimant n’avoir pas les moyens nécessaires pour assumer efficacement ses fonctions. En langage moins diplomatique, « Giscard ne me laisse pas exister », fulmine Jacques Chirac… S’ensuivra une inimitié active que les deux hommes entretiendront jusqu’au bout de leur retraite, y compris jusque dans les salons distingués du Conseil constitutionnel.
Celui qu’on appelait VGE est né à Coblence, en Allemagne, le 2 février 1926. Décoré de la Croix de guerre 1939-1945, il est polytechnicien et énarque. C’est un jeune homme brillant à qui tout réussit et qui, bien logiquement, fait ce qu’il est convenu d’appeler un « beau » mariage en 1952. L’élue, Anne-Aymone Marie Josèphe Christiane Sauvage de Brantes, est la fille d’un comte et d’une princesse. Le couple aura quatre enfants dont les deux filles, Valérie-Anne et Jacinte, suivant la tradition familiale de leur mère, porteront des noms de fleurs.
« Le monopole du cœur »
Dès 1959, sous de Gaulle, il se voit confier le secrétariat d’État aux Finances du gouvernement de Michel Debré avant de prendre la tête du ministère de l’Économie de 1962 à 1966 (année où il fonde la Fédération nationale des Républicains indépendants) et de 1969 à 1974. Sous la férule de Giscard, en 1965, le budget de l’État présente, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, un excédent. Il parvient à ne fâcher personne en ces années de prospérité, en limitant l’augmentation de la fiscalité des ménages tout en réduisant celle des entreprises.
Giscard a pris ses distances avec de Gaulle dès 1969 lors du référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation, en annonçant qu’il « n’approuvera pas » le projet gaulliste. Sa position contribue à l’échec du référendum et entraîne comme il s’y était engagé, de Gaulle à démissionner. Georges Pompidou succède au général, mais la maladie écourtera son mandat.
La voie est dégagée et Giscard, après à peine un mois de campagne, est au second tour face au candidat de l’Union de la gauche François Mitterrand qui affirme être le seul défenseur des plus modestes. Giscard lui répondra, cinglant, lors d’un face-à-face télévisé : « Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur ». Le genre de petite phrase qui vous engloutit n’importe quel adversaire…
Chômage et diamants
Quand il accède à la magistrature suprême, le président Giscard d’Estaing a pour ambition de faire entrer dans « une ère nouvelle la politique française ». Dans la forme d’abord, avec des ministres plus jeunes et moins nombreux, il tient promesse. Sur le fond ensuite avec la fin des saisies de presse et des écoutes téléphoniques, mais davantage avec l’instauration du divorce par consentement mutuel et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, Giscard met en adéquation la société française qui évolue et la législation.
Mais c’est aussi sous son seul et unique mandat que les textes sur l’immigration sont durcis. Affaiblie par deux chocs pétroliers, l’économie accuse le coup et la France s’enfonce dans le chômage de masse : 1 million de chômeurs fin 1975 et 1,5 à la fin de 1980 alors que l’inflation s’amplifie. Cela dit, Valéry Giscard d’Estaing est encore à ce jour le seul président à avoir rendu en fin de mandat un Trésor public excédentaire.
Estimant avoir accompli « les trois quarts de ce qu’il souhaitait faire » Giscard se déclare candidat pour un second mandat en 1981. Il est donné largement favori devant Mitterrand et Chirac, la belle machine à gagner s’enraye avec l’affaire des diamants. Giscard est accusé par Le Canard enchaîné d’avoir reçu des pierres précieuses de Bokassa 1er, empereur de Centrafrique, pour une valeur d’un million de francs. Par la suite, la valeur des diamants qui ont été remis à des organismes de bienfaisance, a été largement revue à la baisse, mais le mal est fait, le 3e président de la Ve République a perdu face à François Mitterrand.
Auteur de nombreux ouvrages entre fictions historiques et romans à l’eau de rose, Giscard évoquait volontiers son admiration pour Guy de Maupassant. En 2013, il s’était prononcé en faveur du mariage pour tous. De loin en loin, il se plaisait à distiller quelques commentaires sur l’actualité. Ainsi, à propos du Mali, il mettait en garde contre « une évolution de l’action de la France au Mali qui serait de type néocolonialiste ». Enfin, il avait évoqué sa mort lors d’une rencontre avec le président Hollande. « Je ne veux aucune cérémonie officielle, aucun hommage de l’État », avait-il indiqué.
RFI