Où en est le « pays des hommes intègres » alors qu’à quelques jours de sa présidentielle, le 22 novembre, il est sous la pression d’attaques djihadistes ?
Le Burkina Faso a beaucoup à partager avec la Côte d’Ivoire : une frontière longue de près de 600 km, une voie de chemin de fer, le travail de la terre dans les plantations de cacao, de café et de cola, des millions de « binationaux », un sens de l’humour très aiguisé… Mais leurs élections présidentielles respectives à seulement trois semaines d’intervalle ont de grandes différences même si la chose est entendue ici comme à Abidjan : le sortant a de grandes chances de conserver son fauteuil, que ce soit par le coup « KO », ou après avoir résisté lors d’un second tour à une opposition rassemblée. La différence de taille : Roch Marc Christian Kaboré va achever son premier mandat et sa candidature ne pose aucun problème d’ordre constitutionnel. D’où peut-être cette impression de léthargie qui règne dans cette fin de campagne burkinabè.
Fort impact de la question sécuritaire
Dans presque toutes les têtes du pays, en réalité, une seule préoccupation : celle du contexte sécuritaire, alors que quatorze militaires burkinabè sont encore tombés le 11 novembre, victimes d’une embuscade dans le Nord, à Tin-Akoff, l’une des attaques au plus lourd bilan pour les forces armées ces dernières années à l’origine d’une suspension temporaire de la campagne et du report des meetings. « C’est sous le gouvernement Roch que le feu terroriste s’est allumé, c’est donc à lui d’éteindre les braises aujourd’hui », explique Solange, directrice financière d’une institution internationale de développement, qui accordera en conséquence son vote au sortant. Les débats politiques ne semblent pas beaucoup enflammer les foules, et dans les petits maquis des quartiers de Koulouba ou de Gounghin, ces jours-ci, davantage que l’actualité politique, on commente la récente victoire de l’équipe nationale, les Étalons, contre le Malawi dans le cadre des éliminatoires de la CAN.
Ambiance électorale feutrée
D’ailleurs, les habitants n’arborent pas comme par le passé des signes ostentatoires de ralliement à l’un ou l’autre des candidats : tee-shirts, casquettes, sifflets, etc. Une loi votée en 2015 sous le régime de transition interdit en effet la distribution de tous ces colifichets qui colorent d’ordinaire la période préélectorale, pour limiter l’achat de votes en nature et faire respecter l’équité électorale. Au grand dam des sérigraphes… qui regrettent la manne disparue.
De la révolution d’octobre 2014, qui s’est soldée par le départ de Blaise Compaoré après vingt-sept années de pouvoir, subsiste comme seule trace dans la capitale la dépouille de l’Azalaï Indépendance, le palace du centre-ville incendié par les manifestants. L’inauguration de l’hôtel rénové était prévue à l’été 2019. Las, les travaux sont toujours en cours, et depuis les courts du tennis club de Ouagadougou qui le jouxtent, on voit toujours les murs d’échafaudage posés contre les façades en béton, et quelques palmiers qui ont poussé entre les tas de gravats.
Incursion à Nionghsin (« Les fondeurs » en langue mòoré, référence à l’activité ancestrale de coulage du bronze dont le quartier est le berceau). À l’atelier d’Idrissa Guira, l’activité tourne au ralenti. L’épidémie de Covid-19 a éloigné les derniers clients étrangers qui faisaient tourner la boutique, et quelques hommes poncent ou patinent sans conviction des pièces qui mettront des années à trouver preneur.
Au cœur de la campagne pour Roch
Scotchée sur un mur, cette affichette : « Mouvement Wendata, pour la réélection du camarade Roch Marc Christian Kaboré ». On m’explique que celui-ci est né à moins d’un kilomètre d’ici, dans le quartier voisin de Dapoya. Ils sont une cinquantaine à s’être rassemblés sous sa bannière pour soutenir « l’enfant du quartier ». « Wendata, cela veut dire : ce que Dieu veut. Nous savons qu’il souhaite la victoire de notre candidat », explique Malick Guira, le benjamin de la famille, sculpteur talentueux animant chaque année plusieurs stages d’initiation à l’art de la fonderie, en France. Pour soutenir Roch dans sa campagne, « les femmes ont fabriqué des gâteaux secs à la farine de maïs, nous avons organisé une collecte de sang au centre de santé », raconte-t-il. Une représentation du palais présidentiel de Kosyam en bronze a été remise à un député de la mouvance présidentielle, le Mouvement du peuple pour le progrès, afin qu’il l’offre au président.
La ville aux couleurs des candidats
Mais le terroir n’est pas le seul ressort du vote. Deux gardiens d’une villa, l’un de jour, l’autre de nuit. Le premier votera Roch. Quand on interroge le second : « Pas étonnant, c’est un Mossi… ! » Preuve que les réflexes de votes ethniques ou religieux n’ont pas totalement disparu. Quand on parcourt le long boulevard France-Afrique qui relie le centre-ville au quartier huppé de Ouaga 2000, édifié à la fin du millénaire pour repenser l’aménagement urbain de la capitale, les habituels panneaux publicitaires qui le jalonnent sont désormais couverts d’affiches à la gloire des candidats.
Celles de Roch sont de très loin les plus nombreuses, « Le Burkina en mouvement », dans des teintes orangées, qui ne sont pas sans rappeler (« EM ») celles d’Emmanuel Macron en 2017. « Pour des logements décents », « Pour un nouveau contrat de cohésion sociale », « Pour des services publics accessibles à tous », l’habituelle litanie des promesses. Roch, le pouce levé, dans son habit de tissu en faso dan fani, cette fibre de coton, l’une des plus raffinées au monde, que lui font grâce les nostalgiques du capitaine Thomas Sankara d’avoir remis au goût du jour, plutôt que les costumes à l’occidentale que portait en son temps Blaise Compaoré. Quant aux affiches de Zéphirin Diabré, le dauphin de 2015, elles interpellent par leur côté messianique : « Ensemble, sauvons le Faso ! »
Bilan contrasté marqué par la pression djihadiste
Quel bilan pour Roch ? Chacun appréciera selon ses convictions. La gratuité des soins materno- infantiles, la construction de 7 500 forages sont à porter à son crédit. Mais difficile cependant de faire abstraction de la crise humanitaire que traverse le Faso, avec plus d’un million de personnes déplacées internes, fuyant la menace djihadiste. D’ailleurs, cette élection ne pourra se tenir que sur 85 % de l’étendue du territoire national, plus de 1 500 villages, sur 8 000 au total, n’ayant pu être enrôlés. Désertion des habitants et des fonctionnaires, routes fermées, impossibilité d’acheminer le matériel électoral : le scrutin se tiendra sans eux.
Un défi de taille pour l’opposition
Mais l’opposition semble trop compromise ou divisée (treize candidatures validées par la Céni) pour pouvoir réellement contester la reconduction au pouvoir du sortant. Seule la proposition improbable de « Zeph » de relier le Burkina Faso à l’océan par le creusement de canaux pour joindre entre eux les trois principaux fleuves du pays (le Mouhoun, le Nazinon, le Nakambé, anciennement les Volta noire, rouge, et blanche) a fait réagir. Loufoque ou géniale, en tout cas, elle divise !
À travers cette présidentielle, et le mode de scrutin uninominal qui électrise le pays, l’opposition est fatalement confrontée à ses démons et à ses rêves. Cela dit, une question semble vraiment préoccuper le cœur des Burkinabè : leur pays pourra-t-il redevenir cet espace de tolérance et de cohabitation pacifique entre tous qui était devenue sa « marque de fabrique » ? Quoi qu’il en soit, le défi est de taille.
Boubacar Dandjinou, à Ouagadougou
Source : Le POINT