Réserves de change, stabilité monétaire, inflation, croissance de la zone franc, droit de veto au sein des instances monétaires…Un rapport établi par la Commission finance du Sénat français tente, pour la première fois, d’apporter des clarifications face à la controverse contre le franc CFA.
En vue de « dresser un véritable état des lieux et un bilan de la zone franc », la Commission finance du Sénat français a diligenté une mission d’information sur le franc CFA.
Le rapport final établi par la sénatrice Nathalie Goulet, en collaboration avec le sénateur Victorin Lurel, a été remis le 30 septembre 2020. Il tente d’apporter d’importantes clarifications sur un certain nombre d’interrogations qui n’ont cessé d’alimenter la controverse contre le FCFA.
« Trop souvent délaissés ou sous-estimés, les accords monétaires internationaux sont aussi caricaturés, servant de prétexte aux querelles politiciennes et alimentant en parallèle le populisme et le sentiment antifrançais », reconnaît Nathalie Goulet en avant-propos du rapport.
Le document de plus d’une centaine de pages lève en effet, le voile sur de nombreux aspects techniques qui encadrent les accords de coopération monétaire entre la France et la zone franc. Il propose également tout une série de pistes en vue de la réforme du FCFA.
Parmi les nombreuses critiques contre cette monnaie dite « coloniale » par ses pourfendeurs, le rapport en identifie cinq (5) des plus fréquentes auxquelles il tente d’apporter des réponses claires et sans ambages.
La gestion des réserves de change
Le rapport des sénateurs français est catégorique. L’obligation de détenir une partie des réserves sur un compte d’opérations auprès du Trésor ne constitue pas une taxe imposée aux pays de la zone franc et ne sert pas à financer la dette française au détriment du développement des économies locales.
Les réserves sont librement accessibles et servent de contrepartie à la garantie octroyée par la France. Elles sont par ailleurs rémunérées à des conditions avantageuses, et ce d’autant plus dans le contexte actuel de faiblesse des taux (taux plancher de 0,75 % pour les réserves de la BCEAO et de la BEAC et de 2,5 % pour les réserves de la BCC, alors que les placements à vue sont aujourd’hui rémunérés au taux de – 0,40 % voire – 0,50 %). La France a ainsi versé 54,8 millions d’euros aux banques centrales africaines de la zone en 2018 et 62,6 millions d’euros en 2019, révèle le rapport.
Il souligne par ailleurs que cette obligation de réserves n’a d’ailleurs que peu de conséquences sur la faible disponibilité du crédit dans l’économie qui relève davantage d’une inclusion bancaire insuffisante et de la frilosité des banques commerciales. Elle est également nécessaire au maintien de la crédibilité de la monnaie et permet à chaque pays de ne pas restreindre sa capacité à importer des biens et des services.
Elle n’empêche pas non plus la BCEAO et la BEAC de mener des politiques monétaires plus accommodantes que celles de leurs voisins. Même si la BEAC a dû remonter son taux directeur à 3,5 % (2,5 % pour la BCEAO) pour reconstituer ses réserves, ce taux directeur demeure bien en deçà de ceux pratiqués par la plupart des pays africains, soutient le rapport.
Stabilité monétaire et maîtrise de l’inflation
Les sénateurs français reconnaissent que les mécanismes de la zone franc contribuent à sa stabilité monétaire et à sa maîtrise de l’inflation. Cette dernière, soulignent-ils, est d’ailleurs bien plus faible dans la zone franc que dans la plupart des autres pays du continent. Or, une inflation maîtrisée peut contribuer à réduire la pauvreté, participer à l’attractivité des investisseurs et faciliter la mise en place de politiques communes.
Toutefois, s’agissant des critiques au sujet de la priorité donnée par la BCEAO et la BEAC, dans leur mandat, à la stabilité des prix au détriment d’un objectif premier de croissance, le rapport précise qu’il s’agit « sans doute » d’un « arbitrage politique qui doit être ouvert à la discussion », mais qui ne relève que de la libre appréciation des pays membres de la zone franc.
Par ailleurs, concernant l’impact du FCFA sur l’intégration régionale, le rapport tend à nuancer les choses. Il fait remarquer que les résultats en matière de déficit ou de dette publique des pays de la zone ne sont pas particulièrement meilleurs que ceux des voisins d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale, et l’intégration régionale demeure très limitée. Par exemple, dans l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), le volume des échanges intrarégionaux dépasse à peine 10 % et les résultats sont encore plus décevants dans la Cemac.
Le FCFA, un obstacle à la croissance des pays de la zone franc ?
La seule appartenance à la zone franc ne permet pas de conclure que le franc CFA est un obstacle à la croissance et au développement des pays, se défendent les parlementaires, mettant en avant d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte pour favoriser une croissance harmonieuse.
Ce qui est sûr, c’est que ces pays ne présentent pas systématiquement sur le long terme, de meilleures performances en termes de croissance de PIB par habitant ou d’indice de développement humain. Il faut néanmoins relever une exception pour l’UMOA qui présente depuis 2012 un taux moyen de croissance supérieur à 6 %, fait remarquer le rapport.
Il ajoute par ailleurs qu’il existe d’autres obstacles à la croissance et au développement que les principes régissant la coopération monétaire, par exemple la faible diversification des économies, le climat des affaires incertain ou encore l’insuffisante qualité de l’éducation, de la gouvernance et des infrastructures.
L’arrimage à l’euro, également accusé de nuire à la compétitivité à l’export des pays de la zone franc, et donc à leur croissance, ne peut en constituer la seule cause, selon les parlementaires. Le régime monétaire n’est selon le rapport, qu’un élément de la compétitivité qui dépend de tout un ensemble de facteurs.
A ceux qui estiment que le franc CFA est surévalué, le rapport fait référence au FMI et indique que cette surévaluation serait de l’ordre de 5 % ; ce qui reste limité. D’autre part, remédier à cette surévaluation reviendrait à procéder à une dévaluation. Pourtant, soulignent les sénateurs, la dévaluation du 11 janvier 1994 a laissé un souvenir douloureux aux populations des pays de la zone, avec une dégradation de leurs conditions de vie.
Le FCFA et les entreprises françaises
Le franc CFA ne conduit pas à favoriser les entreprises françaises, soutient le rapport. Certes, quand la zone franc est apparue en 1939, c’était d’abord pour protéger l’économie française à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Mais depuis lors, la zone a subi des évolutions.
Poursuivant, les sénateurs indiquent qu’il n’y a pas de règles commerciales ou financières en vigueur pour favoriser les entreprises françaises. La parité fixe avec l’euro serait d’ailleurs plutôt un avantage pour l’ensemble des entreprises étrangères, et pas uniquement pour la France. Or, insistent-ils, on observe depuis quelques années une diminution de la part de la France et de la zone euro dans les échanges avec l’UMOA et la Cemac.
La question du droit de veto au sein des instances de la zone franc
La France ne dispose pas d’un droit de veto au sein des instances dirigeantes de la zone franc, répondent les parlementaires. Expliquant que Paris ne dispose d’aucun représentant au sein des instances politiques des banques centrales ni au sein des instances des unions monétaires. Sa présence a d’ailleurs régulièrement diminué. Il y a un seul représentant nommé par la France dans les instances techniques de la BCEAO et de la BEAC (Comité de politique monétaire, Comité d’administration et Commission de supervision bancaire).
La situation est différente pour les Comores où les représentants nommés par la France constituent toujours la moitié du conseil d’administration de la Banque centrale.
Selon le rapport, cela signifie aussi contrairement à ce qui peut être entendu, que la Banque de France n’exerce pas de « tutelle » sur les banques centrales de la zone franc. La Banque de France entretient des relations commerciales et de coopération avec la BCEAO, la BEAC et la BCC.
Enfin, le fait que les billets franc CFA et franc comorien soient fabriqués en France est l’un des points sur lesquels se concentrent le plus les détracteurs du franc CFA qui perçoivent en cette monnaie un héritage de la « Françafrique ». Or, les rapporteurs rappellent que la décision de faire fabriquer ses billets en France relève non pas d’accords monétaires, mais d’accords commerciaux et donc d’une libre décision des banques centrales de la zone franc. Aujourd’hui, seuls neuf pays africains disposent des infrastructures nécessaires à la fabrication sur place de leurs billets.
Borgia Kobri
Source : Agence Ecofin