Engagé dans la société civile depuis de nombreuses années, animateur de cadres d’expressions artistiques et civiques aussi bien au Burkina Faso que dans nombre de pays africains voire au-delà, coordonnateur du centre national de presse Norbert Zongo reconnu d’utilité publique, Abdoulaye Diallo porte différentes casquettes et de nombreuses cordes à son arc de militant engagé dans la défense des grandes causes qui ont longtemps agité la vie nationale au Burkina Faso. Il vient d’y ajouter un nouvel engagement dans l’action politique en tant que candidat indépendant au sein du mouvement SENS pour les prochaines législatives. Dans cet entretien qu’il nous a accordé à Bobo-Dioulasso, il revient sur les dossiers pendants en justice sur l’affaire Norbert Zongo et Thomas Sankara, se prononce sur la crise de confiance entre les gouvernants et les gouvernés, la justice et le justiciable…Et nous livre sa lecture de l’actualité nationale à l’approche des prochaines élections couplées.
Commençons par vous présenter pour ceux de nos lecteurs qui ne vous connaissent pas !
Je suis Abdoulaye Diallo, coordonnateur du centre national de presse Norbert Zongo, où je travaille depuis 22 ans! Depuis 15 ans aussi je suis un des initiateurs et coordonnateur du festival Ciné Droit Libre! Engagé dans Jazz à Ouaga depuis 26 ans dont je suis le président depuis 10 ans! C’est un festival annuel qui se tient ici au Burkina. Je suis par ailleurs consultant sur les questions relatives à la liberté d’expression, les droits humains, les droits artistiques. Je travaille sur ces différentes thématiques et assure des formations, notamment dans le domaine des droits humains et artistiques. Depuis quelques mois j’ai fait le pas en politique en tant que candidat indépendant pour les prochaines législatives. Je suis tête de liste pour le Kadiogo au compte du mouvement SENS.
Faut-il comprendre cet engagement en politique comme une suite logique de votre action militante dans le domaine des droits humains et autres ?
C’est exactement cela : une suite logique, parce qu’à un certain moment, il faut assumer ses responsabilités. J’ai toujours refusé de faire cavalier seul mais là, on est ensemble avec une vision commune, un projet de société, un manifeste, une ligne tracée qui correspond à ma façon de voir et à ma définition de la politique qui est une activité très noble et non quelque chose de sale comme le pensent certains à tort! La politique, c’est la gestion de la cité. Elle doit être confiée aux meilleurs d’entre nous : les plus serviables, les plus engagés, etc. On ne peut pas donner cette responsabilité à n’importe qui, à un aventurier pendant que ceux que Norbert Zongo appelait « les gens bien » sont là à ne rien faire, assis dans leur confort, par crainte de prendre des risques ou de se salir les mains à la tâche. C’est vrai que j’ai beaucoup d’amis qui n’apprécient pas positivement que je m’engage en politique, de même que certains membres de ma famille. Ils voudraient que je reste dans le confort personnel actuel, en gardant toute ma crédibilité. Alors qu’un engagement en politique signifie aussi s’exposer à des attaques, etc. Mais en m’engageant en politique, j’ai un objectif avec un groupe de personnes qui veulent que les choses changent positivement.
Mais n’y a-t-il en effet une dichotomie entre le rôle de contre-pouvoir dans lequel vous êtes impliqué en tant que responsable du Centre national de presse Norbert Zongo et un engagement direct en politique comme candidat aux législatives ?
On a coutume de séparer résistance (ou résilience) citoyenne à opposition politique! L’une s’oppose au pouvoir sur la gestion de certaines questions, alors que l’autre cherche plutôt à s’emparer de ce pouvoir! Je ne crois pas qu’il ait une dichotomie. En réalité la politique, ce n’est pas s’emparer du pouvoir pour le pouvoir, c’est plutôt travailler à la réalisation effective des droits des populations et prendre soin d’elles, donc travailler au respect des droits humains. Tout se ramène finalement à ça. Comment faire pour que les droits de tous (droits humains donc) soient satisfaits. Et même le développement se ramène à cela. Et donc m’engager dans un combat politique en tant que candidat indépendant ne peut constituer un problème pour ce que je fais en ce moment et que je ferais plus tard. Ma priorité c’est que ce que fais au Centre National de Presse Norbert Zongo et dans mes autres combats pour que les droits humains soient respectés et être une réalité. C’est la suite logique avec ce nouvel engagement qui n’en pas aussi nouveau réellement si vous voyez mon Mais si jamais, mon «nouvel engagement» peut avoir la moindre incidence négative dans ce que j’ai toujours fait, je prendrai les dispositions nécessaires de mitigation. Soyez-en rassurez !
Ce qui ne vous empêche pas de continuer à soutenir le métier de journaliste … Vous êtes présentement à Bobo dans ce cadre ?
Le Centre de presse Norbert Zongo, fidèle à son programme, met en œuvre chaque année un plan de formation des journalistes. Et dans ce cadre on a déjà fait plusieurs sessions. Il existe une session sur les fondamentaux du métier de journalisme que nous n’avions pas organisé à Bobo depuis 2014. Le métier s’est beaucoup renouvelé avec l’arrivée de jeunes journalistes qui ont besoin d’être renforcés sur ces fondamentaux. C’est pour cela que nous avons organisé cette session qui comprend entre autres la maîtrise des genres rédactionnels en journalisme. Deux formateurs assurent cette formation en quatre jours. Moi je n’en suis que l’organisateur en tant que coordonnateur du Centre de Presse NZ qui assume la facilitation de l’atelier. Il se trouve que cette période coïncide avec le festival Ciné Droit Libre. Donc nous sommes à Bobo pour une semaine, le temps de tenir les deux évènements.
Votre position au Centre de presse vous a fortement impliqué dans certains dossiers clefs qui restent pendants en justice. L’affaire Norbert Zongo, David Ouédraogo, et bien d’autres. Où en sont ces dossiers actuellement ?
Avec l’avènement de la transition le dossier qui était fermé depuis 2006 a été ré ouvert! Un juge a été nommé, des gens ont été inculpés. Actuellement des gens sont en prison dans le cadre de l’affaire Zongo. Mais le principal suspect en tant que commanditaire qui est François Compaoré, est toujours sous l’effet d’un mandat d’arrêt lancé contre lui. Il y’a eu plusieurs étapes pour mettre en application ce mandat d’arrêt. On a tout évacué jusqu’à ce que la France donne son ok pour son extradition. Suite à quoi il a fait appel ! C’est cet appel qui reste à être vidé avant que François Compaoré ne soit extradé au Burkina Faso. Mais j’ai toujours dit qu’il ne faut pas lier le jugement de l’affaire Norbert Zongo au transfèrement de François Compaoré. Je pense qu’il y a suffisamment d’éléments pour juger l’affaire Norbert Zongo. Une commission d’enquête internationale a travaillé sur le dossier, qui a donné de très bonnes pistes, avec des suspects sérieux. Un travail balistique très sérieux a été effectué. Une enquête sérieuse menée pendant des mois! C’est une base très solide sur laquelle on peut travailler pour inculper des gens et faire un procès. On a malheureusement trainé avec ce dossier et d’autres qui étaient impliqués dans le dossier yi ont perdu la vie Mais on peut travailler avec ceux qui sont là! On peut juger l’affaire avec tous les autres qui sont inculpés. Donc pour répondre à votre question, le dossier est au stade de l’appel fait par François Compaoré. Si cet appel est vidé, il n’y en aura plus d’autre et François Compaoré n’aura pas d’autres choix que d’être extradé au Burkina Faso.
Vous êtes certain de cette éventualité ?
J’ai l’intime conviction qu’il en sera ainsi !
A part cela, comment le centre vit cette période électorale à venir dans le contexte que vous savez ?
Le centre de presse est toujours impliqué dans la vie nationale. Nous avons été impactés comme tous par la covid-19 qui a ralenti beaucoup de nos activités. Nous essayons actuellement de rattraper ce retard de quatre mois tout en préparant le programme de travail de 2021. Avec la levée de certaines mesures barrières, nous pouvons mener certaines formations dont la présente qui se tient à Bobo-Dioulasso. Le centre national de presse reste présent dans le débat national sur les questions importantes ! Nous préparons la prochaine journée nationale de la liberté de la presse (le 20 octobre) au cours de laquelle les élections seront au centre des débats. Nous avons parcouru le pays pour sensibiliser la presse sur les bonnes attitudes et pratiques en cette période électorale, avec toute une caravane d’intervention sur les enjeux des élections. 150 journalistes ont été formés en ce sens en vue de bien se comporter en cette période sensible. Donc le centre mène sa vie quotidienne normale.
Et vous pensez que toutes les conditions sont remplies pour de bonnes élections ?
Seuls les gouvernants peuvent répondre à cela. C’est à eux de nous rassurer sur cet aspect des choses. Mais ce que je peux dire, c’est que les élections sont nécessaires dans le contexte actuel vue la crise de confiance qui s’est installée entre les populations et les gouvernants. Si l’illégitimité vient s’y ajouter à la faveur de ces élections, ce serait très grave. Donc nous souhaitons des élections avec légitimité pour que les problèmes soient résolus. C’est mon point de vue personnel. Si les élections sont fixées par les autorités, nous ne pouvons que jouer notre rôle, c’est-à-dire renforcer la capacité des journalistes dans le sens de jouer leur rôle d’apaisement en évitant d’être des facteurs de troubles quelconques, sans favoritisme envers un camp quelconque, sans ‘’partisanisme’’. La presse n’est pas là pour contenter quelqu’un ou pour nuire à quelqu’un. Il s’agit donc de les renforcer dans leur capacité de traitement professionnel de l’information. C’est cela notre rôle au centre de presse.
L’autre grand dossier qui vous a aussi occupé, c’est celui de l’affaire Thomas Sankara. Qui a connu aussi une certaine interruption…
Oui, là aussi il y’a eu interruption puis reprise avec l’insurrection, mais il y’a une certaine stagnation sur ce dossier qui avait pourtant bien avancé. Le général Diendiéré et autres sont impliqués dans ce dossier et un mandat d’arrêt international émis contre Blaise Compaoré mais je ne sais pas pourquoi la justice traine la dessus! Cela me dérange personnellement parce qu’actuellement nous estimons avoir une justice indépendante au Burkina Faso. Nous nous sommes battus pour avoir cette indépendance de la justice. Sur papier, c’est une des justices les plus indépendantes au monde. On a beaucoup octroyé à cette justice comme nulle part ailleurs pour la rendre indépendante. On doit pouvoir demander des comptes à cette justice, vu tout le pouvoir qui leur a été octroyé. Pour moi il y’a des indicateurs qui ne trompent pas. Le jour où l’affaire Thomas Sankara et l’affaire Norbert Zongo et d’autres dossiers pendants seront jugés, je pourrai répondre à celui qui me demande si notre justice fait son travail. Ces dossiers emblématiques sont des indicateurs qui témoigneront que la justice marche dans ce pays. Si les juges élucident ces dossiers, aucun petit dossier ne pourra les déranger. Le peuple burkinabé tient beaucoup à ces deux dossiers. La justice doit prouver son indépendance par-là! Si c’est un manque de moyens qui les retient, qu’ils le disent ouvertement afin qu’on les soutienne en ce sens auprès des autorités pour que les moyens nécessaires leurs soient octroyés.
Si ce n’est pas un manque de moyens ce serait quoi à votre avis ?
Je pense qu’on a toujours mal à notre justice malgré l’insurrection. La justice reste toujours un problème fondamental, une préoccupation première. Tous les sondages le montrent ! Près de 70 % de burkinabé estiment que nos problèmes actuels viennent d’un dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. L’injustice et l’impunité sont la cause des maux comme l’insécurité. Si quelqu’un tue sans être inquiété, d’autres vont eux aussi s’autoriser à tuer en toute impunité! Voilà pourquoi la justice est importante. Si la justice fonctionne, le mal s’arrête. C’est le manque de justice sous le règne de Blaise Compaoré qui a conduit à l’insurrection. Quand il y’a un problème, il faut que la réponse judiciaire soit donnée! Sinon on entre dans un engrenage dangereux. À commencer par l’accès même à la justice et le mode de justice que nous avons. Actuellement ce sont les professionnels de la justice et les mêmes techniciens qui définissent ce que doit être la justice! Je pense que ce n’est pas juste. Il faut que le peuple soit impliqué pour avoir son mot à dire sur la question. Le code moderne doit être adapté à la réalité ! La justice bourgeoise ne semble pas être faite pour tout le monde! Trop de gens sont mécontents parce qu’il n’y a pas de justice! La légalité et la justice sont importantes dans un pays parce que c’est le socle de la société.
Cela explique aussi peut-être les coups d’Etats et le djihadisme ?
Bien sûr! Le manque de justice. C’est avec ce discours, cet argument qu’ils s’allient des partisans. En disant qu’il n’y a pas de justice ! et ce discours marche bien. C’est concret, c’est convainquant! C’est ainsi qu’ils arrivent à recruter et se montre pratiquement plus intelligents que nous. Ils prolifèrent par manque de réponses adéquates de notre part et par rapport aux problèmes qui se posent à la société, dont le manque de justice. Nous devons nous donner la main, s’inspirer de nos ancêtres pour trouver les ressorts et régler ce problème qui est en train de devenir une gangrène. Aucune paresse intellectuelle n’est autorisée ici et les raccourcis et autres improvisations deviennent dangereux ! Vous avez sans doute lu comme nous la dernière une du bimensuel Courrier Confidentiel.
Votre commentaire sur le témoignage de ce monsieur paru à la une ?
Courrier Confidentiel est un journal d’enquêtes très sérieux mais je me demande si pour une fois ils ne sont pas faits bernés par un escroc ? Je ne crois pas du tout en cette version. Je connais l’histoire de ce monsieur. Ce n’est pas quelqu’un de très crédible. Je crois connaître un peu le dossier de l’affaire Norbert Zongo et les personnes clefs du dossier et cet homme n’en fait pas partie. Il ne fait pas partie des témoins à charge contre François Compaoré. Ça passe comme une du journal, mais sans incidence sur le dossier !
Terminons par votre entrée récente en politique. Pourquoi avec SENS ?
Lorsque le MBDHP a lancé sa campagne pour les candidatures indépendantes, j’ai félicité cette initiative! J’y ai adhéré et battu campagne vraiment pour ça. Les gens en ont marre des partis politiques. Il y a des personnes qui font avancer ce pays par leurs activités sans être des hommes politiques. J’ai la modeste prétention de croire que j’en fais partie. Des personnes qui créent des cadres d’expression de la jeunesse, qui les forment et les éduquent, dans le sens de leur responsabilité, sans pour autant être dans un cadre politique. C’est pourquoi les candidatures indépendantes m’ont enchanté. Mais je ne suis pas seul. Je me suis rendu compte que j’ai beaucoup d’autres amis qui se trouvent également dans cette dynamique. Étant hors de la politique on s’est rendu compte qu’on laisse ce terrain important à des personnes qualifiées de médiocres qui cependant doivent décider de notre avenir. Si tu es à mesure d’apporter quelque chose, pourquoi rester dans ton confort et laisser un incapable décider à ta place ? Nous avons donc milité en ce sens en faveur des candidatures indépendantes même en utilisant des festivals ciné droit libre comme cadres pour inciter les jeunes à s’assumer politiquement. C’est ainsi qu’on a décidé de s’engouffrer dans cette idée. Mais il se trouve que dans notre système burkinabè, il n y’a pas de scrutin uninominal. C’est des scrutins de listes. On vous oblige à vous regrouper. Je ne pouvais donc pas me présenter individuellement en tant que Abdoulaye Diallo. C’est ainsi que nous avons créé un mouvement sur la base de nos valeurs, mais qui n’est pas un parti politique. C’est pour promouvoir des candidatures indépendantes. C’est ainsi que SENS a été créé avec des camarades, notamment Guy Hervé Kam, quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect malgré l’acharnement de certains sur sa personne. C’est un homme intègre! Je le fréquente depuis qu’il était magistrat, et qu’il dirigeait le centre d’éthique et de déontologie de la magistrature. Jusqu’à ce qu’il soit porte-parole du balai citoyen dont j’étais un des conseillers. Nous avons mené des luttes ensemble, participé ensemble à l’insurrection, etc. Après avoir fait preuve aux yeux du monde qu’on était capable de s’organiser pour emmener des changements, on est interpellé à un certain moment dans le sens d’assumer des responsabilités avec la jeunesse qui constitue 70 % de notre population qui ont moins de 35 ans. Ce ne serait pas sérieux de faire quoi que ce soit sans impliquer cette jeunesse et les femmes. Pour donner un signal fort en ce sens, nous avons comme tête de liste une jeune fille de 23 ans sur la liste nationale c’est-à-dire la liste où on est presque sûr d’avoir au moins un député. C’est un signal fort ! C’est un engagement sérieux à une prise de responsabilité par la jeunesse et cela nous passionne énormément. Avec une jeunesse qui doit cesser d’être considérée comme du bétail électoral ou désintéresser de la chose politique. La jeunesse est un colosse qui dort! Une jeunesse responsable, capable, disciplinée et respectueuse des anciens peut nous sortir de cette impasse. Et tout ça dans le respect de nos devanciers, de nos valeurs et de nos traditions !
Sibiri SANOU et Aymeric Kani (stagiaire)
Source : L’Express du Faso