Un groupe « politico-militaire » veut fédérer les insatisfaits de tout bord, dénonçant la gestion du président Issoufou et de son clan au pouvoir depuis près de dix ans.
Été très chahuté au Sahel. Au lendemain du coup d’État au Mali voisin et alors que quelques jours auparavant un attentat tuant six expatriés français avait attiré les regards de la communauté internationale sur le Niger, voilà que le nord du pays fait entendre son mécontentement.
A quatre mois de l’élection présidentielle du 27 décembre, l’Union des forces patriotiques pour la refondation de la République (UFPR) vient de se constituer en groupe « politico-militaire », avec à sa tête un opposant à l’actuel chef de l’État Mahamadou Issoufou.
Dans ce pays classé bon dernier pour son indice de développement humain, l’UFPR souhaite fédérer les mécontents de tout bord. Déjà, « des jeunes frustrés et vexés par les pratiques du régime de Mahamadou Issoufou », aux commandes du pays depuis 2011, et « des soldats et officiers injustement radiés par la hiérarchie de l’armée nigérienne » auraient déjà rallié le groupe, explique Mahamoud Sallah, son président, au Monde Afrique.
Âgé de 39 ans, l’homme n’est pas un inconnu. Cet ancien de la Faculté des sciences économiques et juridiques (FSEJ) de l’université de Niamey, que l’on dit ambitieux et déterminé, a toujours été très critique sur la gestion du président Issoufou. Il a déjà fait entendre sa voix lors de son passage par le parti d’opposition Lumana, puis de l’organisation de la société civile baptisée la Révolution démocratique.
« Pas de troisième mandat »
L’UFPR, qui selon certaines sources regrouperait quelque 400 hommes, dénonce pêle-mêle la gestion du chef de l’Etat et de son clan et propose « d’œuvrer à l’avènement d’une République refondée, conformément aux aspirations et attentes du peuple ». Mahamoud Sallah critique notamment l’exploitation et la commercialisation du pétrole par les Chinois depuis huit ans dans la région de Diffa, au sud-est du pays, à plus 1 300 kilomètres de la capitale.
Un combat qu’a déjà porté celui qui déplore que l’or noir ne bénéficie pas au développement de la région et de ses populations. En décembre 2019, il avait d’ailleurs été arrêté et accusé de terrorisme et de complicité pour avoir perturbé cette exploitation pétrolière.
La création de ce mouvement intervient alors que les élections présidentielles et législatives du 27 décembre approchent à grands pas. Le chef de l’État a maintes fois rappelé qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. « Un troisième mandat au Niger, explique-t-il sur les réseaux sociaux, signifie un coup d’État. Nous sommes un parti qui a comme ambition de stabiliser le pays pour progresser. J’ai beau chercher, je ne trouve aucun argument qui justifierait que je me sente irremplaçable… »
En fait, Mahamoud Sallah, qui fut déjà à deux reprises candidat aux législatives, l’accuse ouvertement de vouloir imposer son dauphin, le ministre de l’intérieur Mohamed Bazoum, le qualifiant même par anticipation de « président larbin qui sera chargé de surveiller ses arrières et celles de sa famille au lieu de gouverner dans le cadre de l’intérêt général de la nation ».
Défections en cascade
A Niamey, à l’approche des élections, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), au pouvoir, enregistre des défections en cascade. Du coordinateur de Malbaza, proche d’Issoufou, au préfet d’Iférouane, ville natale de Brigi Rafini, l’actuel premier ministre, sans oublier le départ de Rhissa Feltou, ancien maire de la commune urbaine d’Agadez.
Même si Mahamoud Sallah veut donner à son mouvement une façade « nationale et non clanique », il ne faut pas oublier que l’UFPR est née sur les terres de la communauté toubou, qui a son centre de gravité dans le nord du Tchad, mais s’est installée aussi bien au sud de la Libye qu’au nord-est du Niger, où elle vit de l’agriculture et de l’élevage depuis des générations. Natif de Bilma, à 600 kilomètres au nord-est d’Agadez, Mahamoud Sallah en est issu. Or, dans le Kawar ou dans la région de Diffa, les Toubou sont en rivalité avec les Ouled Slimane, l’ethnie arabe à laquelle appartient Mohamed Bazoum.
Rien ne dit que ce groupe ne fédérera largement les mécontents. Reste que le climat se durcit sur cette zone frontalière avec la Libye qui échappe depuis quelques années au contrôle de l’État. En 2016, c’était déjà là que le Mouvement pour la justice et la réhabilitation (MJRN) avait vu le jour, avant qu’une partie de ce mouvement ne rende les armes aux autorités en février 2019, suite à des négociations auxquels les chefs coutumiers toubou avaient pris part. On peut se demander si c’est un hasard que le nouveau groupe naisse au même endroit, alors que les promesses faites aux anciens combattants du MJRN n’ont pas été honorées.
Si le Niger traîne en bas des classements de développement, la France comme l’Union européenne (UE) s’appuient largement sur le président Issoufou pour tenter de contenir la montée vers le nord des migrants subsahariens. L’UE déverse là des centaines de millions d’euros d’aide, pour y délocaliser sa lutte contre l’immigration. Or, si Mahamadou Issoufou est un allié, Mahamoud Sallah se pose lui en opposant à cette politique, et plus largement à une trop forte présence de la France.
Au lendemain de la mort des six humanitaires français, ce dernier a posté sur son compte Facebook, très suivi, une analyse pointant que « le Niger n’est pas dangereux parce que la France le dit, mais parce que la France y est présente de sa présence militaire qui est un danger pour le Niger. Cette présence qui sert plus les intérêts de la France que ceux du Niger. »
AAI /Le monde Afrique