L’ancien « Com’zone », qui contribua à installer Alassane Ouattara au pouvoir, est mort le 5 janvier à New York, où il avait été évacué pour raisons médicales.
Son physique d’athlète, hérité d’une jeunesse de judoka, ses dents du bonheur et son train de vie de jet-setteur avaient fait de lui l’une des figures les plus emblématiques de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles. Une incarnation des vingt dernières années en Côte d’Ivoire, marquées par des coups d’État, réussi ou échoués, une guerre (2002-2011) puis un retour à une paix toujours fragile.
Wattao, de son vrai nom Issiaka Ouattara, est mort dimanche 5 janvier à New York, où il avait été évacué il y a près d’un mois, le 13 décembre, pour raisons médicales. Il était âgé de 53 ans et, selon plusieurs sources, son décès serait dû à un diabète mal soigné. Les dernières photos publiées et des témoignages de visiteurs récents décrivent un homme amaigri. Dans un Abidjan qui bruisse de rumeurs, nombreux sont ceux qui veulent croire à un empoisonnement.
Ces derniers jours, l’annonce prématurée de la mort de Wattao avait enflammé la Toile alors que la Côte d’Ivoire renoue avec les tensions politiques, lesquelles se concentrent sur l’opposition entre l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, « frère » de lutte de Wattao, et le président Alassane Ouattara, qu’il avait contribué à installer au pouvoir par les armes mais qui, depuis, tente de se libérer du poids sécuritaire de ses encombrants alliés.
Bling-bling et coups d’État
Une main sur la gestion sécuritaire et l’autre dans les affaires : Wattao personnifie en quelque sorte les « Com’zone », ces chefs militaires de l’ancienne rébellion qui s’étaient partagé le contrôle de la moitié nord du pays après l’échec de la tentative de renversement de Laurent Gbagbo, le 19 septembre 2002. A Bouaké comme à Abidjan, « Saha Bélé-Bélé » (le gros serpent), comme il se faisait surnommer, aura marqué les esprits par quelques faits de guerre mais surtout par sa trajectoire de vie. Enfant pauvre originaire de l’extrême nord-est du pays, engagé « pour le salaire » dans l’armée voilà trente ans, il fit jaser toute la Côte d’Ivoire pour ses coupés sportifs, presque aussi nombreux que ses téléphones portables, ou son husky très adapté au climat local.
Après la conquête d’Abidjan, en avril 2011, Wattao avait mis la main sur les quartiers sud de la ville, où se concentrent une bonne partie des hommes d’affaires libanais et français. « Le racket sous couvert de sécurisation lui a rapporté beaucoup », relate l’un de ses anciens « protégés ». Selon plusieurs sources, le contrôle de cette zone lui permit aussi de faire évacuer discrètement un certain nombre de cadres du régime Gbagbo vers le Ghana. Auparavant, les mines d’or et de diamants exploitées illégalement dans le nord et le centre du pays, tout comme le trafic de cacao et de café, avaient déjà garni son portefeuille.
Il serait cependant réducteur de limiter cet homme à son goût du luxe, ses attitudes bling-bling et son penchant pour les affaires. S’il ne figure pas parmi les concepteurs des actions armées qui jalonnent les deux dernières décennies en Côte d’Ivoire, il en fut l’un des acteurs les plus assidus.
Le 24 décembre 1999, il est du coup d’État qui démet Henri Konan Bédié et porte le général Robert Gueï au pouvoir. Mais comme pour bien d’autres sous-officiers, « le Père Noël en treillis » ne tiendra pas ses promesses. Celui qui avait promis de venir « balayer la maison » avant de repartir choisit de rester, reprend les discours sur l’ivoirité qui exclue les populations originaires du nord et se brouille avec ceux qui l’ont installé. Après « le complot du cheval blanc », Wattao écope de deux mois de prison et subit des tortures qui lui laisseront des années durant les jambes arquées et une démarche de crabe.
La chemisette de Gbagbo
L’élection de Laurent Gbagbo, en octobre 2000, dans des conditions que lui-même jugera « calamiteuses », suscitera un nouveau complot, celui de « la Mercedes noire », dont l’échec poussera ses auteurs à se replier sur Ouagadougou, où ils organiseront la future rébellion avec l’appui des autorités du Burkina Faso.
Wattao est de cette trentaine d’exilés ivoiriens, membres d’un groupe qui se fait appeler Cosa Nostra, que l’on croise dans les boîtes de nuit de Ouaga 2000. Comme il sera l’une des premières figures à émerger après la tentative de putsch du 19 septembre 2002. Certaines occupent aujourd’hui des postes de préfet ; d’autres ont eu moins de chance, comme le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, alias « IB », ex-garde du corps de l’épouse et des enfants d’Alassane Ouattara, tué par ses anciens frères d’armes en 2011.
Wattao est, depuis les premiers jours de la rébellion, très proche de Guillaume Soro, le rival d’« IB », qui le nomma chef d’état-major adjoint des forces armées des Forces nouvelles. Son nom est ainsi revenu avec insistance dans l’élimination des partisans d’« IB », en juin 2004 puis décembre 2007. Comme il fut également cité par Amnesty International pour « l’exécution sommaire d’une soixantaine de gendarmes » à Bouaké, en octobre 2002. Lui rétorquait que ces hommes avaient été tués au combat ou expliquait simplement, dans un moment peut-être de plus grande honnêteté, que ceux-ci étaient morts parce qu’ils étaient « cons ».
Paradoxe ivoirien, Wattao trouvait souvent davantage de mansuétude chez les partisans de Gbagbo que dans l’entourage de Ouattara. Les premiers se souviennent qu’il préserva le centre du pays d’affrontements lorsque ses troupes redescendirent sur Abidjan, en mars 2011, ou qu’il épargna la vie de Laurent Gbagbo après l’assaut final sur la résidence présidentielle, puis le rhabilla respectueusement de l’une de ses chemisettes après que celui-ci eut été fait prisonnier.
Une mise à l’écart déguisée
Passé du stade de chef rebelle à celui d’officier de la nouvelle armée ivoirienne après l’accession au pouvoir de Ouattara, l’ancien patron du bataillon « Anaconda » n’a en revanche jamais trouvé pleinement sa place auprès des nouvelles institutions. D’abord numéro deux de la Garde républicaine, puis commandant adjoint d’une unité chargée de sécuriser Abidjan, il fut ensuite envoyé au Maroc pour y suivre une formation militaire à Meknès. Une mise à l’écart déguisée dont l’intéressé se félicitait en vantant ses résultats – inattendus – aux examens.
Pas dupe de son sort, il confiait à ses proches que l’avenir serait pour lui tortueux, conscient que le pouvoir chercherait désormais à cacher par tous les moyens ses gênants soutiens militaires. Si l’épisode des mutineries, en 2017, lui permit de revenir dans la lumière lorsqu’il fut envoyé pour négocier avec les soldats issus de la rébellion mécontents de leur sort – ce qui lui vaudra une nouvelle nomination à la tête de la Garde républicaine –, Wattao fut progressivement coupé de la base. Sa promotion au grade de colonel-major, le 18 décembre, comme celle octroyée à d’autres anciens « Com’zone », apparaissait ainsi, dans le contexte actuel, comme une manœuvre destinée à acheter la paix.
En confirmant le décès de son « jeune frère » lors de la présentation des vœux aux forces de sécurité, le président Alassane Ouattara a annoncé que des obsèques officielles seront organisées en Côte d’Ivoire après le rapatriement de la dépouille d’un homme qu’il préserva tout de même de la justice nationale comme internationale.
CB/Le Monde