Confronté à une crise djihadiste croissante, le pays sahélien doit faire appel à l’aide de Paris alors que son opinion publique dénonce une présence militaire étrangère. Dans le cadre d’une tournée au Sahel, la ministre française des armées, Florence Parly, a atterri, lundi 4 novembre après-midi, au Burkina Faso, pays fragilisé par les attaques djihadistes et où la question de la présence militaire française fait débat.
Cette visite intervient près d’un an après la signature d’un « accord intergouvernemental de défense » pour renforcer la coopération entre la France et le Burkina et alors que la force française « Barkhane » multiplie les opérations dans le pays, plongé dans une grave crise sécuritaire. Les attaques terroristes ont tué plus de 600 personnes depuis 2015 et provoqué le déplacement forcé d’un demi-million de civils.
A la demande des autorités burkinabé, « Barkhane » a dû intervenir à deux reprises en septembre au nord du pays pour suppléer des forces de sécurité locales sous-équipées, mal formées, démoralisées et désorganisées. « Environ 80 soldats français » et deux hélicoptères britanniques ont ainsi été envoyés du 13 au 16 pour sécuriser la ville de Djibo, qui menaçait de subir « une attaque d’envergure ». Selon un haut gradé de la police, cette montée en puissance de la force française au Burkina Faso est un « mal nécessaire ». « On aimerait s’en passer, mais on n’y arrivera pas tout seul, on a besoin d’aide c’est clair, même si la hiérarchie ne veut pas l’assumer officiellement », ajoute-t-il.
« Syndrome de l’ancienne puissance coloniale »
L’opinion publique vient rappeler régulièrement aux autorités que les interventions françaises ne sont pas nécessairement les bienvenues. « Armée française, hors du Burkina et d’Afrique ! » Le slogan a le mérite d’être clair. Le 12 octobre, plusieurs centaines de manifestants s’étaient rassemblées devant la Bourse du travail de Ouagadougou pour dénoncer le « terrorisme et la présence de bases militaires étrangères » sur le continent. Menace djihadiste, trafic d’armes, pauvreté, « pillage » des ressources naturelles… La faute à « la Françafrique ! », clamaient les manifestants qui soupçonnent la France de vouloir établir « une nouvelle base militaire à Djibo ».
Paris et Ouagadougou ont démenti cette rumeur tenace. « On a reçu beaucoup d’appels et de questions à ce sujet, certains de nos auditeurs restent convaincus qu’une base française est en construction, rapporte Hyacinthe Sanou, le directeur des rédactions de la Radio Omega, la France déchaîne toujours autant les passions, on la soupçonne de tout et son contraire, c’est le syndrome de l’ancienne puissance coloniale. » Tantôt admirée, tantôt détestée, elle ne cesse d’alimenter les fantasmes. « Il y a une posture paradoxale, analyse Cyriaque Paré, journaliste et docteur en sciences de l’information et de la communication, certains Burkinabés aiment critiquer la présence française tout en exigeant plus de ses forces militaires. »
Les contempteurs du « néocolonialisme français » se nourrissent aux sources révolutionnaires et anti-impérialistes de l’ancien président Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987. Mais, avant lui, le père de l’indépendance burkinabé Maurice Yaméogo, avait refusé de signer un « accord de défense » avec la France en 1961, entraînant le démantèlement de la base militaire française de Bobo-Dioulasso, à l’ouest du pays, l’une des plus importantes de la région à l’époque.
« Le petit plus »
Souci d’indépendance, héritage sankariste remis au goût du jour depuis la chute de Blaise Compaoré à la suite d’une insurrection population en 2014, le gouvernement actuel a toujours été réticent à demander de l’aide à la France. « Il est tiraillé entre la mémoire et les idées de Sankara, dont il se réclame, et la réalité du terrain et de son armée qui manque de moyens. Il se voit obligé de faire de la realpolitik », observe un politologue et ancien diplomate burkinabé.
En décembre 2018, la France et le Burkina Faso ont signé un « accord intergouvernemental de défense » pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays. A la demande de Ouagadougou, « Barkhane » opère depuis le Niger et le Mali voisins, au « coup par coup », souvent dans l’urgence. « Les autorités burkinabé sont acculées, sans capacité de réaction et nous appellent à l’aide tout en nous demandant de rester discrets », confie une source sécuritaire à Paris. Pourtant, la situation ne cesse de s’aggraver. « Cette guerre ne peut pas se mener tout seul aujourd’hui, elle a besoin de synergie avec les pays de la sous-région et les autres forces. […] Certaines opérations françaises nous apportent le petit plus, la puissance de feu qu’on peut ne pas avoir », concède Rémis Fulgance Dandjinou, le ministre de la communication burkinabé.
Sophie Douce (Ouagadougou, correspondant)