L’ex- « calife » autoproclamé de l’EI a été tué dans un raid militaire américain au nord-ouest de la Syrie. Après cinq ans de silence durant lesquels il avait souvent été donné pour mort, sa disparition pourrait bousculer l’organisation, sujette aux scissions et aux allégeances instables.
L’homme le plus recherché du monde, Abou Bakr al-Baghdadi, s’était autoproclamé « calife de l’Etat islamique » en 2014. Il est mort dans un raid militaire américain au nord-ouest de la Syrie, a annoncé dimanche le président des Etats-Unis.
« Abou Bakr al-Baghdadi est mort » dans un raid militaire américain au nord-ouest de la Syrie, a annoncé dimanche le président des Etats-Unis depuis la Maison Blanche. L’homme le plus recherché du monde, dont le décès avait été plusieurs fois annoncé à tort ces dernières années, est mort sans gloire dans un tunnel en cul-de-sac, a souligné Donald Trump qui a suivi l’assaut en temps réel : « Il a atteint le bout du tunnel, traqué par nos chiens. Il a déclenché son gilet d’explosifs, causant sa mort et celle de ses trois enfants. Son corps a été mutilé par les explosions et le tunnel s’est effondré sur lui ». « Capturer ou tuer Baghdadi était la priorité absolue de mon administration », a-t-il ajouté.
ENCADRE
Qui est Abou Bakr Al-Baghdadi ?
Abou Bakr Al-Baghdadi a d’abord été un étudiant en religion timide, puis un combattant jihadiste de second rang. Mais cet Irakien de 48 ans est parvenu à réaliser l’alliance entre jihadistes convaincus venus du monde entier et anciens militaires de l’armée de Saddam Hussein, laïque et socialiste. Un atout pour conquérir, en 2014, un territoire grand comme la Grande-Bretagne.
Diabétique et blessé au moins une fois, Ibrahim Awad Al-Badri de son vrai nom, montrait rarement son visage. Surnommé le « fantôme », il n’a fait qu’une seule apparition publique, en juin 2014, du temps du « califat ». Du haut de la chaire de la mosquée Al-Nouri de Mossoul, « capitale » de l’EI en Irak reprise à l’été 2017, il avait prononcé un sermon devant ses partisans.
Son visage à la barbe poivre et sel teintée de henné rouge n’est reparu qu’une autre fois, sur une vidéo diffusée en avril. Il s’est par ailleurs exprimé via des enregistrements sonores. Sa discrétion en a fait, pour les officiels et militaires occidentaux, l’antithèse d’Oussama Ben Laden, qui diffusait régulièrement des cassettes vidéo avec mise en scène au combat ou à la mosquée.
Préférant l’ombre et les avancées à petits pas, Baghdadi, un passionné de football au destin d’avocat ou de militaire contrarié par des résultats scolaires insuffisants et une mauvaise vue, a longtemps attendu son heure. Prêchant dans une mosquée peu fréquentée de l’Irak alors sous la dictature de Saddam Hussein, il a développé « une vision assez claire de là où il voulait aller et de l’organisation qu’il voulait créer », explique la journaliste Sofia Amara. « C’est un planificateur secret », explique celle qui a réalisé un documentaire sur Baghdadi. S’il « donne l’impression d’un homme pas brillant », il est décrit comme « patient et bosseur ».
Un « fin stratège » qui a supplanté Al-Qaïda
Après avoir créé, lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, un groupuscule jihadiste sans grand rayonnement, ce père de cinq enfants issus de deux mariages, est arrêté en février 2004 et emprisonné au camp Bucca. Cette immense prison installée par les Américains à l’extrême sud de l’Irak, où se côtoient dignitaires déchus du régime de Saddam Hussein et nébuleuse jihadiste, sera surnommée « l’université du jihad ».
Là, peu à peu, « tout le monde s’est rendu compte que ce type timide était un fin stratège », affirme Sofia Amara. Dix ans plus tard, lors de la percée fulgurante de l’EI, l’armée irakienne comprend qu’elle a face à elle ses ex-commandants, de l’époque de l’ancien régime, passés dans le camp jihadiste. Libéré de Bucca faute de preuves après 10 mois, Baghdadi prête allégeance à Abou Moussaab Al-Zarqaoui, sous tutelle d’Al-Qaïda, puis devient l’homme de confiance de son successeur Abou Omar Al-Baghdadi.
Il prend sa relève à sa mort en 2010. Rebaptisée « Etat islamique », l’organisation emmenée par Abou Bakr Al-Baghdadi supplante Al-Qaïda. « C’est le premier cadre d’Al-Qaïda qui se permet de se rebeller ouvertement contre le pouvoir central de la nébuleuse, notait en 2014 Alain Rodier, du Centre français de recherche sur le renseignement, interrogé par le site canadien La Presse. C’est fondamental pour comprendre le personnage. »
Un « calife » à la tête d’une armée disloquée
S’il a été le premier chef jihadiste à instaurer un proto-Etat, son « califat » a aujourd’hui fait long feu. Le dernier réduit des jihadistes est tombé en mars à Baghouz, en Syrie. Des dizaines de milliers de ses combattants sont désormais dans les prisons des Kurdes de Syrie ou de l’Etat irakien. Depuis des mois, l’homme dont la mort a déjà été évoquée à plusieurs reprises ne dirigeait donc plus que des troupes disloquées. Les Etats-Unis offraient quand même 25 millions de dollars pour la capture de Baghdadi.
Ce dernier a été rapidement forcé à la retraite. Il aurait d’abord trouvé refuge dans la zone désertique allant du centre de la Syrie à l’Irak, selon des experts. C’est là que son fils Houdhayfah Al-Badri a été tué en juillet 2018, fauché dans une grotte par trois missiles russes téléguidés. Lui-même a survécu à plusieurs attaques, avant celle de dimanche.
Celui qui s’était un temps posé en chef suprême des musulmans du monde, réactivant le « califat » des premiers siècles de l’islam, a finalement trouvé la mort à Idleb, dernier carré jihadiste de Syrie. Là, il avait dû trouver refuge parmi les groupuscules liés à al-Qaïda, le groupe de ses débuts.
Source : AFP / Franceinfo