Adolescente, Émilie Kyedrebeogo vivait ses règles comme un calvaire. A 43 ans, la Burkinabè se rappelle encore des spasmes de douleur qui la pliaient en deux, de « la peur des moqueries » de ses camarades de classe, ou encore de « la hantise des fuites ». « Je manquais souvent l’école ces jours-là, j’avais honte, je vivais mes menstruations comme un handicap », confie celle qui, comme beaucoup de jeunes Burkinabè, commencera par utiliser des bouts de tissu comme protection. « Je ne savais pas comment faire, je n’osais pas en parler à ma famille », relate-t-elle assise à son bureau, dans sa robe colorée en tissu traditionnel. Si, aujourd’hui, Émilie Kyedrebeogo préfère oublier ces « souvenirs difficiles », un rêve ne l’a plus quittée depuis. Celui « d’aider les petites filles pour qu’elles n’aient pas à souffrir à leur tour de leurs règles ».
Au Burkina Faso, pekre (se laver, en langue mooré), comme on qualifie pudiquement le fait d’être indisposé, reste une source d’angoisse pour la plupart des adolescentes : 83 % se disent stressées en classe à cette période, selon une étude réalisée par l’Unicef. Toujours selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance, 21 % manqueraient régulièrement les cours, de nombreux établissements scolaires ne disposant toujours pas de latrines, d’eau potable et de savon. Alors, la plupart préfèrent rentrer se changer chez elle, quitte à parcourir plusieurs kilomètres parfois.
Au sein des foyers, le sujet des menstruations est encore tabou, contraignant certaines à se débrouiller seules à l’arrivée de leurs premiers cycles. « J’ai entendu tellement d’histoires, des filles qui utilisent des bouts de matelas en mousse, des papiers journaux ou même du coton hydrophile », rapporte encore Émilie Kyedrebeogo. Alors, il y a un an, elle a décidé de lancer Palobdé – « qui ne se jette pas » –, une marque de protections périodiques lavables en tissu traditionnel.
Coton biologique
« Venez voir ! Nos serviettes sont fabriquées avec du coton doux et ultra-absorbant », nous accueille l’entrepreneuse dans son petit atelier de confection, au sol jonché de bouts d’ouate et de chutes de tissu, dans le quartier de Dassasgho à Ouagadougou, la capitale. « On y a ajouté une partie imperméable pour éviter les fuites et un bouton-pression pour qu’elles tiennent bien à la culotte », détaille cette diplômée d’un master en administration des affaires. Derrière elle, les machines à coudre ronronnent.
Cinq couturières travaillent à côté d’une haute pile de protections hygiéniques en étoffe colorée : du Faso dan fani, le pagne traditionnel local. Ces serviettes, de taille et forme identiques à leurs cousines jetables, sont composées de deux couches en fibre naturelle, d’environ un centimètre d’épaisseur, qui se clippent au sous-vêtement à l’aide d’un petit bouton. Le coton, d’origine biologique, est tissé et teint par des associations de femmes du Burkina. Il était utilisé traditionnellement par les mères de famille. « Dans la coutume, la maman est très impliquée et prépare elle-même les morceaux de tissu, avec une couleur respective pour chacune de ses filles », explique Émilie Kyedrebeogo, qui regrette que l’arrivée des périodiques jetables détrône peu à peu cette méthode ancestrale.
Car, selon elle, les serviettes hygiéniques classiques « colportent l’idée que les règles sont sales ». Dans certaines familles conservatrices, les femmes ne peuvent pas faire la cuisine ou dormir dans le même lit que leur mari ces jours-là. « Certaines préfèrent même jeter leurs culottes tachées, s’étonne celle qui tente de bousculer les mentalités. Je me rappelle aussi lors d’une vente de la tête de plusieurs hommes qui passaient devant mon stand l’air écœuré et ne voulaient surtout pas toucher les serviettes neuves ! »
« Mieux connaître nos règles »
Il faut compter entre 6 000 et 10 000 francs CFA (entre 9 et 15 euros) pour un kit comprenant trois serviettes réutilisables « au moins deux ans », un sac de rangement lavable, ainsi que deux culottes et un savon pour les packs scolaires. Un petit budget au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du continent africain, mais « rentabilisé sur la durée » assure la fondatrice de Palobdé, à la tête d’une équipe d’une dizaine d’employés.
« Les protections jetables coûtent cher, plus de 10 000 francs CFA par an environ, et les produits qui arrivent ici ne sont pas de bonne qualité, la plupart sont parfumés et contiennent des produits chimiques provoquant des irritations chez certaines. » Et le plus souvent, ces serviettes hygiéniques sont jetées dans les toilettes ou en pleine nature, à cause du manque de poubelles dans les établissements. Avec Palobdé, « à l’école ou au bureau, les filles n’ont qu’à glisser leur serviette dans le petit sac de rangement, et la laver le soir, c’est plus pratique et plus écologique », soutient la quadragénaire.
Grâce à une commande réalisée par l’Unicef l’année dernière, 1 500 kits ont déjà été distribués dans plusieurs écoles du pays. Et plus de 2 000 autres devraient encore être donnés cette année. Émilie
Kyedrebeogo, qui travaille également à temps plein dans une ONG de lutte contre la malnutrition, aimerait maintenant animer des ateliers de sensibilisation dans les classes. « Tout commence par l’éducation », pour la Ouagalaise qui martèle : « Nous devons apprendre à mieux connaître nos règles et à accepter cette période qui fait partie de la vie des femmes. »
Sophie Douce
Le monde