Une vue de djihadistes armés (Photo d'illustration)

Six personnes, dont un prêtre, ont été tuées ce dimanche dans le nord du Burkina Faso, lors d’une attaque qui a visé une église catholique de la localité de Dablo. Depuis quatre ans, le pays est confronté à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières, attribuées à des groupes jihadistes. Pourquoi cette menace s’est-elle étendue en quelques années ? Comment évaluer la réponse qui a été apportée par les pays de la région ? Pour en parler, Laurent Correau reçoit ce mardi Justine Coulidiati, la présidente du Réseau des femmes leaders médiatrices du Burkina, qui est également coordinatrice régionale de la Plateforme des femmes du G5 Sahel. Elle est actuellement à Paris pour la 2e conférence des leaders pour la Paix.

RFI : Les actions jihadistes sont devenues récurrentes dans certaines régions du Burkina Faso. Quel diagnostic faites-vous de cette implantation de l’islam radical dans certaines régions du Burkina ?

Justine Coulidiati C’est monté à une vitesse exponentielle. Depuis la première frappe qui a eu lieu en janvier 2015 à aujourd’hui, à combien de frappes sommes-nous ? Le nombre de morts ne fait qu’augmenter et montre à quel point les auteurs de ces attaques sont en train de se professionnaliser. Le Burkina Faso est effectivement devenu le ventre mou de ces crises. C’est le pays le plus attaqué. Il faut dire que le Burkina est au milieu d’un certain nombre de pays qui vivent ces crises. Naturellement, il fallait s’attendre à ce qu’à un moment ou à un autre, nous vivions ces crises-là. Mais il faut dire aussi qu’au plan économique, la fragilité du pays a facilité les choses. La pauvreté est devenue ambiante et l’incivisme grandissant accroît les risques de radicalisation des jeunes et de recrutement par les extrémistes violents.

Pensez-vous que la contamination à laquelle on a assisté du nord vers l’est du Burkina Faso peut encore gagner du terrain et toucher d’autres régions du pays ?

Oui. Je pense qu’il y a lieu de craindre cela parce qu’ils tentent de pénétrer par toutes les poches. Ce n’est pas seulement l’Est et le Sahel. Il y a l’Ouest et la boucle du Mouhoun où, de temps en temps, ils frappent… et même du côté de la Côte d’Ivoire… tout est possible. Le Burkina a six frontières, dans la sous-région. Ils agissent des deux côtés des frontières, c’est ça le drame. Et il faut une collaboration régionale, mais une collaboration régionale forte, responsable avec une redevabilité au peuple.

Vous n’êtes pas satisfaite par les dispositifs mis en place par le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) par exemple ?

Le G5 Sahel est là et cela fait cinq ans. Les frappes ne reculent pas. Il y a une force conjointe qui est là, mais les frappes ne reculent pas. C’est normal qu’on se pose des questions ! Je me dis certainement que ce n’est pas encore très au point et qu’il faut travailler davantage, trouver un management de taille pour pouvoir gérer cette histoire du G5 sahel.

Est-ce que, selon vous, dans la réponse à la montée de ce terrorisme islamiste, il faut accentuer d’autres types d’actions plus sociales ?

Bien entendu, la force de frappe est sans doute nécessaire pour faire reculer les forces du mal. Mais la solution durable, celle sur laquelle il faut aller très rapidement et bien, c’est sans doute amener les populations à être résilientes, à être capables de contrer les différents chocs : choc sécuritaire, choc économique, choc climatique. Une des questions, c’est déjà de mettre un accent particulier sur l’éducation, une éducation qui va mettre en avant les normes et les valeurs sociales parce que l’incivisme auquel on assiste, ça ne ressemble pas à notre Burkina d’antan où les normes sociales ne permettaient pas certaines actions.

L’un de vos combats, c’est justement de faire en sorte que les femmes soient plus associées à la prévention contre la montée des extrémismes. Quel est le rôle particulier que peuvent jouer les femmes ?

Déjà, dans la famille, la femme africaine -comme toute autre femme- souhaite qu’on dise demain que c’est son fils qui est le premier, c’est son fils qui se comporte le mieux. Donc elle veille en permanence sur les habitudes, les façons d’être, de faire de ses enfants. Et lorsqu’elle voit que ces enfants ont des comportements qui commencent à être bizarres, elle commence à s’inquiéter, elle commence à interroger, à chercher, à répondre à la situation. Ça, c’est déjà dans la famille. Nous savons aussi que les femmes sont les plus nombreuses à être dans des organisations. Un maillage de ces organisations peut permettre d’amener ces femmes à faire de la sensibilisation, à mobiliser les populations, non seulement les enfants, les femmes, mais les autres populations, au mieux vivre à la cohésion sociale.

Le 1er janvier, une attaque d’hommes armés a conduit à des représailles de type communautaire qui ont fait plusieurs dizaines de morts autour du Yirgou. C’était une situation inédite au Burkina Faso. Jusqu’à quel point ces menaces terroristes risquent de toucher au vivre ensemble au Burkina ?

Concernant la situation de Yirgou, je peux dire que c’est une situation qui a ouvert la brèche pour créer au niveau du Burkina Faso des crises communautaires en lien avec l’extrémisme violent. Et je pense que là où nous sommes arrivés, cette situation devrait s’améliorer si l’État arrive à nous aider -à travers les résultats qu’on a déjà eus- à consolider les acquis… Le pardon que nous avons obtenu de ces communautés… Toutes ces communautés ont reconnu qu’elles vivaient en paix et que le chef même qui est mort avait confié 300 bœufs à tel Peul, tant de bœufs, etc., etc. Ils vivaient vraiment ensemble. Donc cette histoire de fibre communautaire, elle est inventée pour pouvoir atteindre des objectifs.

Est-ce que le rôle dévolu aux milices locales, celles qu’on appelle les Koglweogo (« gardiens de la forêt » en Moré) est le bon Burkina Faso ?

La venue des Koglweogo est dénaturée. Des gens s’organisaient pour préserver leur bétail, pour assurer une certaine quiétude. Et ensuite, il y en a qui ont voulu que ça ait une autre tournure. C’est ça le problème. On ne peut pas avoir dans un État de droit des forces parallèles aux forces de l’État. Sinon, à un moment donné, on risque de ne pas maitriser certaines choses, c’est cela que nous craignons.

RFI/

 

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