L’auteur de cet article est M. Issaka Sourwema, Naaba Boalga. Selon lui, s’il est vrai que « la Constitution burkinabè proclame le caractère laïc de l’État », il reste, dit-il, « qu’aucun texte législatif ou règlementaire ne délimite le périmètre de cette laïcité ». Lisez plutôt !
Le 9 août dernier, dans son édition n° 6650, « Le Pays » me faisait l’honneur de publier mon article intitulé « Pratiques religieuses et services publics au Burkina : Et les féticheurs ou animistes dans tout ça ?». J’y affirmais, entre autres, que malgré le caractère laïc de l’Etat, « les citoyens pratiquent (au sens large), même dans les services publics, leurs religions… ». Je me demandais si, au regard des dispositions constitutionnelles, il ne serait pas anticonstitutionnel d’empêcher un citoyen de pratiquer sa religion traditionnelle. Ces deux points de la réflexion ont engendré de multiples réactions aux tons divers et variés sur les réseaux sociaux et sur la toile. Souvent passionnantes et parfois passionnées, elles ont eu le mérite de confirmer une réalité palpable aujourd’hui au Faso : le fait que les questions relevant de la foi et (surtout) des pratiques religieuses laissent rarement les gens indifférents ; si fait que traiter de ce sujet doit obliger à circonscrire les contours définitionnels des différents concepts de sorte à éviter les sous-entendus dans la mesure où ceux-ci flirtent très vite avec les malentendus. N’ayant pas pris cette précaution pour ce qui est du vocable laïcité, il m’est apparu opportun de revenir sur le sujet. Une précision cependant : le souci n’est pas de clore le débat (ce qui n’est ni souhaitable, ni possible de toutes les façons) mais de permettre qu’il se déroule un peu plus sainement.
Proclamée par la Constitution, le contenu de la laïcité reste à définir
Cela dit, la Constitution burkinabè proclame le caractère laïc de l’État mais à notre connaissance, aucun texte législatif ou règlementaire ne délimite le périmètre de cette laïcité. Les choses semblent évidentes et leur compréhension aussi, mais c’est ignorer ou oublier que l’évidence, comme critère de vérité, est bien souvent synonyme d’erreur monumentale parce qu’en fait, on nage dans le clair-obscur. En outre, ce contexte ténébreux permet à chacun de donner l’éclairage qu’il veut ou de rendre les choses encore plus touffues, sans oublier que si la plupart se disent croyants et pratiquent une religion, très peu peuvent appréhender la notion de laïcité et subséquemment les exigences liées à ce caractère de l’État. Toutefois, il faut noter que la problématique est si importante que de façon publique ou non, la réflexion, aux plans académique et individuel, n’a jamais tari. C’est ainsi que le 4 juillet 2013, l’Institut pour la gouvernance démocratique et l’Association américaine de sciences politiques (APSA) ont organisé, à l’Université Ouaga I Pr Joseph-Ki-Zerbo, un panel-débat sur le thème « Religion et politique au Burkina Faso à la lumière du forum national sur la laïcité » Par ailleurs, M. Zassi Goro, professeur de lettres et de philosophie, publiait, le 17 mars 2017 sur Kaceto.net, une tribune sur la même thématique tandis que K. D. Anissé Méda, professeur certifié de philosophie, en faisait autant le 22 avril 2018 sur Lefaso.net.Le dénominateur commun à toutes ces réflexions est que l’État est le garant de l’égalité entre tous les citoyens et ne doit pas revêtir une forme confessionnelle. Il a l’obligation de garantir la liberté de croyance, de mettre en place des lois qui protègent la liberté d’opinion et de prôner un discours qui fait la promotion de la tolérance et du dialogue. Les difficultés liées à la laïcité en tant que vécu dans un pays multiconfessionnel et multiethnique n’ont pas non plus été passées sous silence.
Qu’en dit la tradition politique française ?
Ne disposant pas d’un contenu burkinabè précis du concept en question, les idées qui sont développées à ce propos dans le présent article, visent plus à alimenter le débat qu’à commenter la laïcité au Burkina Faso. Pour ce faire, le lecteur me permettra certainement de me référer d’abord à ce que dit la France, notre puissance coloniale d’hier, dont la culture philosophique et juridique a inspiré nombre de nos textes et de nos pratiques. Certes, cette culture n’est point exempte de critique et la manière dont nous nous l’approprions non plus ; mais ne disposant pas, dans notre patrimoine culturel, de fondamentaux à partir desquels nous pouvons gérer l’État moderne burkinabè et l’État-nation en construction, il ne nous est pas possible de faire table rase de la culture française au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Selon l’Observatoire français de la laïcité, la laïcité repose sur trois principes et valeurs : la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. Quant au Centre national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL), il entend, par laïcité, le « principe de séparation, dans l’État, de la société civile et de la société religieuse » et « d’impartialité ou de neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses ». Elle est donc antinomique à la reconnaissance d’une religion d’État ou des religions d’État. Enfin, pour le dictionnaire Larousse, la laïcité est synonyme de « Conception et d’organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement. »
Un impératif au Burkina Faso : déterminer le contenu de la laïcité et le faire accepter par tous
Au regard de ces éléments relatifs à la laïcité, une question s’impose : à l’échelle du Burkina, quel contenu donner au concept sans tomber dans le piège de la confusion entre l’État laïc et l’État athée ou dans un quiproquo qui ferait croire à certains responsables cléricaux que l’État milite contre les fondamentaux de leur confession et/ou la manière de pratiquer leur religion ?Il devient, de ce fait, impératif qu’une forme et un fond, fruits d’un compromis, soient conférés à ce caractère de l’État burkinabè à l’issue de débats ou de consultations à l’échelle nationale. A titre indicatif, soit les Burkinabè choisissent de faire de la laïcité une posture dans laquelle l’État se tient complètement à l’écart de la vie religieuse de ses citoyens tout en jouant le rôle de gendarme pour que le rapport des fidèles à la religion n’engendre pas de troubles à l’ordre public ; là, c’est la conception classique de la laïcité dont il a été tantôt question. Soit, ils optent pour une appréhension de la laïcité qui conduit l’État à « interférer » de façon équitable dans les affaires religieuses des différentes confessions du pays ; c’est-à-dire un traitement qui peut être basé sur le poids démographique, la contribution de chaque confession au bien-être (santé, éducation, œuvres caritatives, etc.) des populations…
Le faux procès fait à l’islam
Aujourd’hui, des propos tendancieux, insidieux et sournois distillés çà et là, veulent que l’islam soit synonyme d’anti-laïcité. Ces réflexions s’appuient sur ce qui se passe dans certains pays arabo-musulmans, les thèses éculées des théoriciens et praticiens de l’extrémisme violent et les prières organisées de plus en plus par les musulmans dans les services publics et sur la voie publique. Si les débats sur toutes ces problématiques méritent d’être menés sainement et sereinement, la situation ainsi dépeinte ne me semble pas suffisante pour coller l’étiquette anti-laïque à cette confession. Les deux principales raisons sont les suivantes : Les chrétiens font de même de plus en plus, sans qu’une telle suspicion soit entretenue à leur égard. A la limite, peut-on se préparer à accepter que les pratiquants des religions traditionnelles, les raéliens, les membres de la foi bahaïe et les bouddhistes célèbrent leurs rites en ces lieux ; Bien qu’ils soient majoritaires, les responsables cléricaux musulmans et les leaders des associations musulmanes n’ont jamais, à part quelques écervelés sur les réseaux et médias sociaux, remis en cause le caractère laïc de l’État burkinabè.
Le point de vue d’un érudit musulman et l’impératif d’un débat national
A ce propos, Ghaleb Bencheikh, docteur ès science et président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, (par ailleurs auteur de La laïcité au regard du Coran), a été interviewé par La Libre Belgique du mardi 3 mai 2005. De son point de vue, le Coran, en sa sourate 42, verset 38, est clair concernant la laïcité. Il y est dit ceci : «Et leurs affaires sont objet de consultations entre eux.» Malheureusement, du côté des partisans de l’extrémisme violent, ce verset signifie : «Nous n’avons pas besoin de démocratie puisqu’il est dit, dans le Coran, que le prince, le détenteur de l’ordre, est obligé d’avoir la consultation et la concertation avec les hommes.» Or, dire que leurs affaires sont objet de consultations entre eux, est synonyme du distinguo à faire entre la sphère de l’État et celle de la religion. Par ailleurs, se basant sur la sourate 42, l’islam devient pour lui «la religion de la sortie de la politique», comme Marcel Gauchet, philosophe, historien français et Directeur d’études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales, parle du christianisme comme de «la religion de la sortie de la religion». Il corrobore ses propos en citant la sourate 7 et les versets 157-158 qui enseignent : «Obéissez à Dieu, au Prophète et aux détenteurs de l’ordre parmi vous.» Pour terminer, il affirme que « s’il devait y avoir une tradition religieuse qui s’adapterait le mieux à un espace laïc, ce serait bien l’islam, eu égard à l’absence d’une structure cléricale. Malheureusement, c’est cette absence d’une structure cléricale qui favorise, dans des milieux où les régimes sont en manque de légitimité, la collusion entre les ordres. » Pour en revenir au cas du Burkina Faso, l’État, malgré des insuffisances dans l’observation des principes de laïcité que l’on peut observer çà et là et que l’on déplore, la laïcité est un fait. Cependant, au regard des manifestations de l’extrémisme violent qui ont cours dans notre pays et des actes de prosélytisme (de la part de toutes les confessions), cette laïcité a davantage besoin d’être clarifiée, réaffirmée et assumée par l’État. Une démarche courtoise rigoureusement argumentée, soutenue par des actions de plaidoyer auprès des autorités religieuses et bannissant les logiques d’affrontement et de casus belli au nom de l’intérêt général, peut constituer un vrai atout.
Issaka SOURWEMA
Naaba Boalga, chef traditionnel du village de Dawelgué
Canton et commune de Saponé
issounaba@gmail.com