La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui devrait se prononcer hier, 13 juin 2018, sur la demande d’extradition de François Compaoré, faite par les autorités burkinabè, a décidé de renvoyer le dossier au 3 octobre prochain. Nous avons pu obtenir l’arrêt ordonnant un complément d’informations sur la demande d’extradition du frère cadet de Blaise Compaoré, que nous publions in extenso.
COUR D’APPEL DE PARIS PÔLE
CINQUIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION
– EXTRADITION- ARRÊT
Prononcé en audience publique le 13 juin 2018 et donnant en sa présence un avis sur la demande d’extradition de COMPAORE Paul François né le 11 janvier 1954 à Ouagadougou (Burkina Faso) fils de COMPAORE Bila Maurice et de BOUGOUMA Thérèse de nationalité burkinabè et ivoirienne, domicilié 39 quai de Grenelle – 75015 PARIS.
Placé sous contrôle judiciaire le 30.10.2017 par ordonnance du juge délégué par le Premier Président de la Cour d’appel de Paris
Assisté de Me SUR Pierre-Olivier, avocat
– entendu sans 1’assistance d’un interprète, 1’intéressayant déclaré comprendre et parler la langue française
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats, du délibéré et du prononcé de l’arrêt
Mme CHAPELLE, Président,
Mme CAZENAVE-LACROUTZ, Conseiller,
- ALBERT, Conseiller,
tous trois désignés conformément à l’article 191 du code de procédure pénale. GREFFIER: Mme BINART, aux débats et au prononcé de l’arrêt MINISTÈRE PUBLIC :
représenté aux débats PAR Mme TARON et au prononcé de l’arrêt par Mme AUBE-LOTTE, Avocat Général.
DEBATS:
A l’audience publique du 28 Mars 2018 ont été entendus:
– COMPAORE Paul François, en son interrogatoire conformément aux articles 696-13 à 696-15 du code de procédure pénale dont le procès-verbal a été dressé,
– Mme CHAPELLE, Présidente, en son rapport
-Mme TARON, Avocat Général, en ses réquisitions
-Me SAUVAYRE ET Me QUISSE, avocats de l’Etat intervenant habilités à intervenir aux audiences par arrêt séparé de la Cour en date du 13.12.2017
-Me SUR Pierre-Olivier, avocat du comparant et celui-ci lui-même, qui a eu la parole le dernier, en leurs observations.
Le comparant s’est exprimé sans l’assistance d’un interprète, l’intéressé ayant déclarer comprendre et parler la langue française.
L’affaire a été mise en délibéré pour décision de la Cour être prononcée à 1’audience du 13 juin 2018 à 14 heures ;
RAPPEL DE LA PROCÉDURE ET DES FAITS
Par note verbale de son ambassade à Paris en date du 30 octobre 2017, parvenue le même jour au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, et parvenue le 10 novembre 2017 au ministère de la Justice et le 13 novembre 2017 au greffe de la chambre de l’instruction, le Gouvernement du Burkina Faso a sollicité l’extradition de Paul François COMPAORE aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt international délivré le 5 mai 2017 par monsieur Emile Zerbo, juge d’instruction au tribunal de Ouagadougou, pour des faits d’incitation à assassinats commis à Ouagadougou le 13 décembre 1998.
Le 29 octobre 2017, COMPAORE Paul François a été interpellé à 1’aéroport de Roissy Charles de Gaulle ;
Le 30 octobre 2017, le Procureur Général a procédé à l’interrogatoire de l’intéressé dont il a été dressé procès-verbal.
Le même jour, il a été présenté devant le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel qui l’a placé sous écrou sous contrôle judiciaire;
la demande d’extradition étant parvenue au greffe de la chambre de l’instruction le 13 novembre 2017 ; des pièces complémentaires ont été reçues le 29.11.2017 et le 13 décembre 2017 à la chambre de l’instruction;
Le 4 décembre 2017, le procureur général a notifié la demande d’extradition émanant du Gouvernement de Burkina Faso et renvoyé 1’examen de la cause à l’audience du 13.12.2017;
A l’audience publique de la Chambre de l’instruction du l3 décembre 2017, notification a été faite du titre en vertu duquel l’arrestation a eu lieu, ainsi que des pièces produites à l’appui de la demande d’extradition et des pièces complémentaires adressées par le Burkina Faso par la voie diplomatique, reçues les 29 novembre 2017.
Par arrêt en date du 13 décembre 2017, la Cour a autorisé Me SAUVAYRE ET Me Anta GUISSE, avocats habilités par les autorités du gouvernement du BURKINA FASO à intervenir aux audiences de la chambre de l’instruction;
Informé des dispositions de l’article 696-26 du Code de procédure pénale et notamment de sa faculté de consentir ou de s’opposer à cette demande d’extradition et des conséquences juridiques d’un consentement, COMPAORE Paul François a refusé sa remise.
L’examen de la demande a été renvoyé à l’audience publique de la chambre de l’instruction du 7 mars 2018 et au 28 mars 2018 à la demande des avocats de Monsieur COMPAORE;
A l’audience du 28 mars 2018, les pièces reçues le 13.12.2017 ont été notifiées à 1’intéressé ;
Le 26 mars 2018, le parquet général a déposé ses réquisitions sollicitant de la cour:
-qu’elle renvoie l’examen de la procédure dans l’attente des éléments sollicités auprès des autorités de l’Etat requérant et des autorités françaises
– au fond, qu’elle ordonne un complément d’information qui portera notamment sur les points suivants :
* la détermination de l’accord de coopération applicable
* les peines applicables au Burkina Faso et notamment la peine de mort et le régime de peine applicable en cas de prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie (directement ou par suite de commutation de la peine capitale)
* la qualité des personnes ayant signé les documents d’engagement du ministère de la Justice burkinabé
* le déroulement de la procédure pénale au Burkina Faso et notamment les conditions de délivrance d’un mandat d’arrêt
*le degré d’implication de Paul François COMPAORE dans les faits qui sont à l’origine de la présente demande d’extradition.
Le 21 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François, a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait exposer par la voie de son avocat qu’il a été entendu à deux reprises par la commission d’enquête indépendante sous le statut de simple témoin. Le rapport intermédiaire de cette commission n’attribue aucune responsabilité à François COMPAORE dans le meurtre. La justice a concouru à la manifestation de la vérité et François COMPAORE a été entendu à deux reprises par le juge d’instruction. La condamnation du Burkina-Faso par la Cour africaine des droits de l’homme ne met pas en cause François COMPAORE puisqu’elle vise principalement le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Cette cour a mis en cause l’Etat burkinabé pour n’être pas allé chercher d’autres pistes, notamment celles évoquées par la commission d’enquête indépendante en mai 1999.
Le 30 mars 2015, l’information a été réouverte en raisons de charges nouvelles sur la base de pièces méconnues jusqu’alors dans la procédure. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement requérant dans la requête d’extradition, il n’est aucunement fait mention de documents qui auraient été découverts au domicile de François COMPAORE et son nom n’apparaît pas dans les réquisitions du procureur aux fms de réouverture du dossier. Ni cet acte ni les documents mentionnés n’ont été communiqués à la chambre de l’instruction.
Les éléments transmis par Interpol ne démontrent en rien les allégations développées.
Par ailleurs, les conditions de forme de la requête en extradition ne sont pas réunies.
En effet, selon l’article 77 du code de procédure pénale burkinabé, un mandat d’arrêt ne peut être délivré qu’à l’encontre d’une personne inculpée ; or, François COMPAORE n’a jamais été inculpé dans l’information en cause. Aucun mandat d’arrêt n’ayant pu être délivré à son encontre, il n’est pas poursuivi comme exigé par l’accord de coopération entre la France et le Burkina-Faso.
Des doutes subsistent quant à 1’auteur et à la date du mandat d’arrêt. Le mandat d’arrêt est en date du 5 mai 2017 tandis qu’en août et septembre 2017, les avocats de l’intéressé étaient informés qu’aucune fiche de recherche n’était enregistrée et la notice rouge d’INTERPOL a été modifiée le 4 août 2017 pour antidater le jour de délivrance du mandat d’arrêt du 2 août au 5 mai 2017.
La notice rouge indique par ailleurs que le mandat d’arrêt est délivré par le procureur du Faso près le tribunal de Ouagadougou et signé Maïza Sérémé.
Ce mandat d’arrêt est imprécis, contrairement à ce qui est exigé par les articles 52 de 1’accord de coopération et de justice et 696-8 du code de procédure pénale et contrairement à plusieurs arrêts rendus par la chambre de l’instruction de Paris sur des demandes d’extradition sur le point de l’indication des faits précis au titre desquels la demande d’extradition est faite.
L’Etat du Burkina Faso n’apporte aucune précision suffisante sur la nature du ou des faits matériels qualifiés d’incitation de nature à soutenir 1’implication de François COMPAORE dans la commission des faits visés dans la requête d’extradition. Le dossier ne contient aucune pièce nouvelle et lorsqu’il vise des documents trouvés dans la maison de François COMPAORE, il n’y a rigoureusement aucune pièce produite en ce sens. S’il était extradé, il serait jugé pour des faits imprécis, commis, compte tenu de l’infraction d’incitation à l’assassinat, nécessairement avant le 13 décembre 1998, date de la mort des quatre victimes.
Quant aux conditions de fond de l’extradition, elles ne sont pas réunies. L’article 696-4 2° du code de procédure pénale prévoit que l’extradition n’est pas accordée lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique. Selon l’arrêt KONE du Conseil d’Etat du 3 juillet 1996, c’est un principe fondamental reconnu par les lois de la République que l’Etat requis doit refuser l’extradition d’un étranger lorsque celle-ci est demandée dans un but politique. Est également rappelé 1’article 3 § 2 de la convention européenne d’extradition.
Dans le cas d’espèce, c’est devant l’impossibilité de poursuivre Blaise COMPAORE devant la Haute cour de justice que la requête en extradition de François COMPAORE, le frère du premier, a été formée.
François COMPAORE a un parti, le CDP, et des élections auront lieu en 2020.
La requête en extradition est donc un moyen de nuire au clan COMPAORE, regroupé au sein du CDP. La procédure d’extradition visant François COMPAORE a fait l’objet d’une instrumentalisation politique.
Le mandat d’arrêt du 5 mai 2017 aurait été signé par Maïza Sérémé, sœur de Saran Sérémé, devenue une des principales opposantes au président Blaise COMPAORE.
A la suite des attentats terroristes du 2 mars 2018, certains ont évoqué des possibilités de complicités au sein de l’armée burkinabé, voire un lien avec le procès de deux proches de Blaise COMPAORE et certains s’interrogent sur les liens entre ces attentats et le régime déchu de Blaise COMPAORE, qui est vilipendé par ses successeurs pour avoir eu des contacts avec des islamistes. Pour ne pas prendre le risque qu’un nouvel attentat fasse regretter l’ère COMPAORE, le gouvernement n’hésite pas à instrumentaliser chaque attaque pour accuser Blaise COMPAORE et ses soutiens de vouloir déstabiliser le pays. Dans ce contexte d’instrumentalisation, l’extradition de François COMPAORE aurait des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour sa sécurité et son intégrité physique.
La condition de double incrimination n’est pas respectée.
L’infraction d’incitation à l’assassinat n’est ni prévue ni réprimée par le droit français et l’incitation ne saurait être confondue avec la complicité, les modes de complicité étant, aux termes du code pénal français, l’aide, l’assistance, la provocation et les instructions pour commettre une infraction. L’article 221-5-1 du code pénal ne saurait trouver application puisqu’il se réfère à la situation dans laquelle le crime d’assassinat n’a été ni commis ni tenté.
Il n’y a pas d’éléments nouveaux dans l’affaire ZONGO justifiant la requête en extradition. Les accusations contenues dans la requête en extradition ne sont aucunement étayées par le Burkina Faso. L’ordonnance de réouverture de l’information du 7 avril 2015 n’a pas été versée au dossier d’extradition. Les réquisitions du procureur du 30 mars 2015 ne font nullement état de la découverte au domicile de François COMPAORE de plusieurs documents.
François COMPAORE encourt la peine capitale et par ailleurs, le mémoire développe une argumentation autour du « syndrome du couloir de la mort ». Est à cet égard citée la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (décision Soering contre Royaume-Uni, 7 juillet 1989). Une peine perpétuelle doit en outre, pour être compatible avec 1’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme, selon la jurisprudence de la cour, offrir une possibilité d’aménagement de peine, par exemple la possibilité de demander une libération conditionnelle.
Les assurances fournies par le gouvernement de l’Etat requérant sont insuffisantes; la peine de mort est inscrite dans la législation de l’Etat et l’histoire récente démontre que la parole de l’Etat a peu de crédit. Le seul risque que la peine de mort soit encourue, prononcée puis éventuellement in fine exécutée ferait naître chez François COMPAORE l’angoisse caractérisant le syndrome du couloir de la mort ». Compte des dispositions de la législation du Burkina Faso, la personne extradée pour des motifs politiques soit sollicite sa grâce au risque, potentiellement, de la voir refusée soit ne la sollicite pas mais va souffrir du « syndrome du couloir de la mort ».
En tout état de cause, un emprisonnement à vie serait également contraire aux droits humains et notamment à 1’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme. Que la peine soit la mort ou l’emprisonnement à vie, 1’extradition de François COMPAORE violerait les obligations internationales de la France.
Quant aux garanties du droit au respect du procès équitable auquel se réfère l’article 696-4 7° du code de procédure pénale et la convention européenne des droits de 1’homme en son article 6 ainsi que la Charte africaine des droits de 1’homme et des peuples, divers rapports qui font foi expressément cités dans le mémoire (FIDH, MBDHP en vue de l’examen du Burkina Faso par le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies en 2016, Observatoire de la démocratie et des droits de l’homme du Burkina Faso) dénoncent les institutions du Burkina Faso et notamment la justice au regard de la corruption.
Les conditions de détention au Burkina Faso font également l’objet de dénonciations, notamment par Amnesty International dans son rapport d’octobre 2017. Les proches de Luc Adolphe TIAO, ancien Premier ministre de Blaise COMPAORE, ont précisément dénoncé les conditions de détention humiliantes de l’intéressé à la MACO, lieu où serait incarcéré François COMPAORE.
Est citée dans le mémoire 1’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 14 mars 2018 qui a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Paris et qui a rejeté la demande du Sénégal de confiscation des biens en France de Karim WADE au seul motif de non-respect de la double incrimination, le droit français ne connaissant pas l’infraction d’enrichissement illicite. Le parallèle est fait entre la présente demande d’extradition et la tentative d’instrumentalisation de la justice française. De même que la cour d’appel a rejeté la demande du Sénégal, la chambre de l’instruction rendra un avis défavorable à la demande présentée par le Burkina Faso.
L’hypothèse d’un renvoi doit être écartée.
L’hypothèse d’un renvoi aux fins de demander aux autorités du Burkina Faso un complément d’information aux fins de verser les pièces élémentaires qui fondent le mandat d’arrêt est illusoire. Elle risquerait de conduire à la production de faux témoignages par attestations dont la véracité et la crédibilité seraient plus que dubitatives.
Il est donc demandé à la chambre de l’instruction de :
-CONSTATER l’irrégularité du titre d’arrestation;
-CONSTATER l’imprécision du mandat d’arrêt ;
– CONSTATER la nature politique de la demande d’extradition et les conséquences d’une gravité exceptionnelle qu’auraient la remise ;
– CONSTATER le non-respect de la condition de double-incrimination ;
– CONSTATER l’absence d’éléments nouveaux justifiant la requête;
– CONSTATER le risque de peine capitale, de syndrome du couloir de la mort et de peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de réexamen ;
– CONSTATER l’absence de respect des garanties du droit à un procès équitable;
– CONSTATER les conditions de détention inhumaines au Burkina Faso. En. conséquence,
– EMETTRE un avis défavorable à la demande d’extradition formulée par le Burkina Faso à rencontre de François Compaoré,
– METTRE FIN au contrôle judiciaire.
Le 22 mars 2018, Me SUR avocat de COMPAORE Paul François, a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait communiquer deux articles, l’un en date du 20 mars 2018 du journal MEDIAPART intitulé « Burkina Faso: les terroristes étaient liés au président déchu Blaise Compaoré », ce qui laisse augurer l’accueil qui serait fait au concluant dans l’hypothèse de son extradition et 1’autre, en date du 22 mars 2018 du journal L’Observateur qui fait état d’une condamnation à mort prononcée lors de la dernière session d’assises de la cour de Kaya.
Le 26 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François, a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire n° 2 visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait valoir que si la cour considérait qu’un renvoi était nécessaire aux fins de supplément d’information, la défense solliciterait la mainlevée pure et simple des mesures de contrôle judiciaire qui ne seraient pas nécessaires à la garantie de sa représentation lors d’une prochaine audience, eu égard à ses attaches familiales durables en France. Est joint à ce mémoire un appel à la mobilisation du Balai Citoyen aux fins d’assister à l’audience du 28 mars 2018. Selon la défense, les termes de cet article sont la preuve de la véritable nature de l’affaire.
Le 27 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François, a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire n° 3 visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.
Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François joint une attestation de du vice-bâtonnier de Paris, Me Laurent MARTINET, par laquelle il certifie avoir visité les quartiers des condamnés à mort de la prison de Ouagadougou lors d’une visite officielle au cours des années 2014 et 2015. Il avait pu constater que les détenus localisés dans le quartier des condamnés à mort ne pouvaient à aucun moment voir la lumière, ce quartier étant totalement noir et dépourvu de toute fenêtre ou d’accès à la lumière, rendant les conditions de détention absolument terribles.
DECISION
prise après en avoir délibéré conformément à l’article 200 du code de procédure pénale
EN LA FORME
Considérant qu’il a été satisfait aux formes et aux délais prescrits :
par les articles 696-8 et suivants du code de Procédure Pénale relatifs à l’extradition des étrangers; que la procédure est donc régulière en la forme.
AU FOND
Par note verbale de son ambassade à Paris en date du 30 octobre 2017, parvenue le même jour au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, et parvenue le 10 novembre 2017 au ministère de la Justice et le 13 novembre 2017 au greffe de la chambre de l’instruction, le Gouvernement du Burkina Faso a sollicité l’extradition de Paul François COMPAORE aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt international délivré le 5 mai 2017 par monsieur Emile Zerbo, juge d’instruction au tribunal de Ouagadougou, pour des faits d’incitation à assassinats commis à Ouagadougou le 13 décembre 1998.
Devant la chambre de l’instruction, COMPAORE Paul François a reconnu que le titre en vertu duquel la demande d’extradition est présentée s’applique bien à sa personne. Il n’a pas consenti à être remis aux autorités Gouvernement de Burkina Faso requérantes.
SUR CE, LA COUR
Considérant que la demande d’extradition est ainsi rédigée :
« Je soussigné Emile ZERBO, juge d’instruction en charge du cabinet n° 4 du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, Burkina Faso, a l’honneur de requérir l’autorité compétente de la République française en vertu de l’accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961, pour l’extradition de COMPAORE Paul François, de nationalités burkinabé et ivoirienne vers le Burkina Faso. COMPAORE Paul François, né le 11 janvier 1954 à Ouagadougou de COMPAORE B. Maurice et de BOUGOUMA Thérèse marié à Salah COMPAORE née OUEDRAOGO ayant un domicile en France à été interpellé à l’aéroport Roissy Charles DE GAULLE, ce 29 octobre 2017 à 6h 45 mn en exécution d’un mandat d’arrêt délivré contre lui le 5 mai 2017.
COMPAORE Paul François doit répondre des faits d’incitation à assassinats qui sont prévus et punis par les articles 69, 318, 319,320, 324 et 347 du code pénal burkinabé.
RAPPORT DES FAITS
Le dimanche 13 décembre 1998, aux environs de 16 heures, le Commissariat de police de Sapouy était avisé par des usagers de la route Léo-Sapouy-Ouagadougou de ce qu’un véhicule de marque Toyota de type Land Cruiser 4×4 immatriculé Il J 6485 BF immobilisé à environ sept (07) kilomètres de la sortie sud de Sapouy en direction de Léo était enfeu et qu’une personne gravement blessée gisait sur le côté gauche du véhicule.
Les agents de police se transportaient alors sur les lieux pour constater les faits. Le procès-verbal dressé par eux indiquait, qu’en dehors du corps qui gisait à côté du véhicule, il y avait trois autres corps calcinés dans ledit véhicule.
L’enquête de police ouverte à la suite de ces faits permettait d’identifier le véhicule et ses occupants. Il s’agissait de Abdoulaye NJKIEMA dit Ablassé, de Ernest Yembi ZONGO, de Biaise ILBOUDO et de Norbert ZONGO, Journaliste d’Investigation. Par la suite, une Commission d’Enquête Indépendante (CEl) était mise en place pour tenter d’élucider les faits. Les conclusions de ladite Commission d’Enquête Indépendante faisaient ressortir que les sus nommés n’avaient pas été victimes d’un accident de la circulation mais plutôt d’un assassinat dont Norbert ZONGO était la cible principale ; Que ses compagnons avaient été assassinés pour ne pas laisser des témoins gênants ;
Que Norbert ZONGO avait été assassiné parce qu’il pratiquait un journalisme engagé; Qu’il fallait allé chercher le mobile de son assassinat dans les enquêtes qu’il menait notamment ses investigations concernant la mort de David OUEDRAOGO, chauffeur de Paul François COMPAORE, le frère cadet de Biaise COMPAORE, Président du Faso de l’époque.
L’information judiciaire ouverte à l’issue avait été clôturée par un non-lieu en 2006 après la mort de l’Adjudant KAFANDO Marcel qui était le seul inculpé dans l’affaire. La réouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015, a été motivée par la découverte au domicile du sieur Paul François COMPAORE de plusieurs documents laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO et ce depuis 1996, mais qu’il était aussi aux petits soins des présumés exécutants de l’assassinat de Norbert ZONGO et de ses compagnons et ce avant et après le 13 décembre 1998.
Les investigations menées depuis, ont établi que :
- Norbert ZONGO, Abdoulaye NIKIEMA dit Ablassé, Ernest Yembi ZONGO, et Biaise ILBOUDO ne sont pas morts accidentellement mais qu’ils ont été assassinés ;
- Norbert ZONGO était la cible principale des assassins et que ses compagnons étaient des victimes collatérales ;
- Norbert ZONGO a été tué à causes de ses investigations sur la mort dans des conditions affreuses de David OUEDRAOGO chauffeur de Paul François COMPAORE;
- Les ‘assassinats dé Norbert ZONGO et de ses compagnons ont été planifiés par l’Adjudant Marcel KAFANDO, chef de la sécurité rapprochée du Président du Faso de l’époque et homme de main de Paul François
COMPAORE;
- Paul François COMPAORE, frère cadet du Président du Faso et conseillerà la présidence suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO depuis 1996 à travers les services de renseignement;
- Paul François COMPAORE a proféré des menaces contre Norbert ZONGO promettant de mettre fin aux écrits de ce dernier;
- Les quatre exécutants des assassinats étaient des militaires de l’ex-Régiment de Sécurité Présidentielle proches de Paul François COMPAORE et ont agi sur incitation de ce dernier;
- Avant et après les faits, le chef de la sécurité rapprochée du Président, organisateur des assassinats ainsi les exécutants ont reçu des présents de la part de Paul François COMPAORE;
- Paul François COMPAORE a approuvé la mort de Norbert ZONGO;
- Paul François COMPAORE a promis et fait sanctionner les militaires de la sécurité présidentielle qui avaient verbalement condamné ces assassinats;
- Paul François COMPAORE suivait la procédure et était en possession des procès-verbaux de déposition des témoins les plus importants pendant l’instruction de l’affaire.
Je certifie que COMPAORE Paul François ne sera pas poursuivi pour des crimes autres que ceux indiqués dans la demande. » ;
Considérant que la matière de l’extradition entre le Burkina Faso et la France est, au jour où la cour statue, régie par l’accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Haute-Volta, fait à Paris le 24 avril 1961 et plus particulièrement par les articles 46 à 62 de cet accord ; qu’aucune autre convention relative à l’extradition n’est entrée en vigueur à ce jour;
Que néanmoins, le procureur général note dans ses réquisitions écrites qu’une convention d’extradition devait être signée entre les deux Etats au mois de novembre 2017; qu’il y a lieu de demander au ministère français de la justice quand cette nouvelle convention est susceptible de trouver application et si elle est susceptible de s’appliquer à la présente demande ;
Considérant que s’il n’appartient pas aux autorités françaises, en matière d’extradition, de connaître de la réalité des charges pesant sur François COMPAORE, il incombe cependant à la cour de veiller au respect des stipulations conventionnelles et légales applicables au cas d’espèce et notamment à celles de l’accord du 24 avril 1961 précité et à celles des articles 696-8 et suivants du code de procédure pénale relatifs à 1’extradition des étrangers;
Considérant que dans son mémoire en défense, François COMPAORE demande que l’examen de la demande d’extradition ne soit pas renvoyé; qu’il fait valoir que la fixation de la date de l’audience a largement laissé du temps au débat contradictoire et à l’échange de pièces tandis que le Burkina Faso demande 1’extradition sans apporter aucun élément au fondement de sa requête et ce quand bien même la procédure lui en a donné le temps ;
Considérant que l’article 55 de l’accord prévoit que lorsque des renseignements complémentaires lui seront indispensables pour s’assurer que les conditions requises par l’accord sont réunies, l’Etat requis, dans le cas où 1’omission lui apparaîtra susceptible d’être réparée, avertira l’Etat requérant par la voie diplomatique avant de rejeter la demande ; qu’un délai pourra être fixé par l’Etat requis pour l’obtention de ces renseignements;
Considérant par ailleurs que l’article 52 de l’accord prévoit que la demande d’extradition sera accompagnée de1’original ou de1’expédition authentique soit d’une décision de condamnation exécutoire soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre acte ayant la même force et décerné dans les formes prescrites par la loi de l’Etat requérant ; que ce même article prévoit également que les circonstances des faits pour lesquels l’extradition est demandée, le temps et le lieu où ils ont été commis, la qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiquées le plus exactement possible ; qu’il sera joint une copie des dispositions légales applicables ;
Considérant qu’il est exposé dans la demande d’extradition que Norbert ZONGO avait été assassiné parce qu’il pratiquait un journalisme engagé; qu’il fallait allé chercher le mobile de son assassinat dans les enquêtes qu’il menait, notamment ses investigations concernant la mort de David OUEDRAOGO, chauffeur de Paul François COMPAORE, le frère cadet de Biaise COMPAORE, Président du Faso de l’époque; que la réouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015 a été motivée par la découverte au domicile du sieur Paul François COMPAORE de plusieurs documents laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO et ce depuis 1996, mais qu’il était aussi aux petits soins des présumés exécutants de l’assassinat de Norbert ZONGO et de ses compagnons et ce avant et après le 13 décembre 1998 ;
Que de même, le procureur général près la cour d’appel de Ouagadougou, dans une note du 6 novembre 2017, expose qu’ « à la faveur de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 plusieurs documents ont été découverts au domicile de monsieur François Paul COMPAORE, il ressort de la demande d’extradition …que les investigations menées ont établi que plusieurs éléments à charge pèsent sur François Paul COMPAORE »;
Considérant néanmoins qu’en l’état de la demande d’extradition, si l’Etat requérant reproche à Paul François COMPAORE l’infraction d’incitation à assassinats, les éléments exposés, qui reposent sur des affirmations et présomptions des autorités requérantes, sont insuffisants à caractériser des faits matériels précis qui pourraient lui être imputés dans les assassinats objet de l’enquête; qu’à ce jour, la cour ne dispose pas d’éléments suffisants relatifs à la matérialité des faits imputés à François COMPAORE ;
Que la cour rappelle que les faits en cause sont constitutifs de quatre assassinats, trois des victimes semblant avoir été assassinées uniquement pour couvrir l’assassinat du journaliste Norbert ZONGO ;
Qu’il y a lieu dans ces conditions de demander aux autorités requérantes par la voie d’un complément d’information, en application de l’article 55 de l’accord précité, de fournir des éléments matériels précis de nature à impliquer directement François COMPAORE dans la commission des quatre assassinats;
Que par ailleurs, il est mentionné dans la requête en extradition que le dossier a été réouvert pour charges nouvelles le 7 avril 2015 ; que cependant n’a été joint à la demande d’extradition que le « réquisitoire aux fins de réouverture et de saisine de juge d’instruction » du procureur général de la cour d’appel de Ouagadougou, Monsieur Laurent PODA, en date du 30 mars 2015 ; que ce magistrat fait état dans son réquisitoire de pièces « jusque -à méconnues dans la procédure » produites par « les ayants droits de Norbert ZONGO et autres » ;
Qu’il y a lieu de demander aux autorités de 1’Etat requis de produire1’acte par lequel le dossier a été ré-ouvert pour charges nouvelles, le 7 avril 2015 ;
Considérant que François COMPAORE fait valoir pour sa défense que son inculpation était un préalable nécessaire à son arrestation sur mandat et qu’il n’a été entendu que comme simple témoin; que la délivrance du mandat d’arrêt, dont il conteste la date, est irrégulière ;
Que si les autorités de l’Etat requérant ont produit à l’appui de la demande d’extradition, les textes d’incrimination et de répression de l’homicide volontaire ainsi que les textes relatifs à la prescription de l’action publique et aux pouvoirs du juge d’instruction, elles n’ont pas produit les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt;
Qu’il y a lieu de demander que ces autorités produisent les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt;
Considérant enfin que les autorités requérantes n’ont pas fourni d’éléments sur le régime d’application des peines dans la procédure pénale du Burkina Faso et notamment pas sur le point de savoir s’il existe un régime d’aménagement des peines en fonction de leur durée et particulièrement dans le cas d’une peine d’emprisonnement à vie;
Que ces informations seront également demandées aux autorités requérantes par la voie du complément d’information ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir le contrôle judiciaire ordonné le 30 octobre 2017; que cette mesure de sûreté est en effet toujours nécessaire pour assurer le maintien de François COMPAORE à la disposition de la justice ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Vu l’accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Haute-Volta, fait à Paris le 24 avril1961 ;
Vu les articles 696-8 et suivants du Code de procédure pénale ;
ORDONNE que le ministère français de la justice informe la cour sur le point de savoir quand la nouvelle convention d’extradition signée entre la France et le Burkina Faso est susceptible de trouver application et si elle est susceptible de s’appliquer à la présente demande;
ORDONNE un supplément d’information afin que les autorités de l’Etat du Burkina Faso :
– fournissent des éléments matériels précis qui seraient de nature à impliquer directement François COMPAORE dans la commission des quatre assassinats;
– produisent 1’acte par lequel le dossier a été réouvert pour charges nouvelles, le 7 avril2015;
– produisent les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt ;
– fournissent toutes informations utiles sur le point de savoir s’il existe un régime d’aménagement des peines en fonction de leur durée et particulièrement dans le cas d’une peine d’emprisonnement à vie ;
ORDONNE le maintien du contrôle judiciaire prononcé le 30.10.2017 ;
ORDONNE le renvoi du dossier à l’audience du mercredi 3 octobre 2018 à 14 heures
Et dit qu’à la diligence de Mme le Procureur Général le dossier sera envoyé à Mme le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, avec une expédition authentique du présent arrêt.
La présente décision a été notifiée, ce jour, par remise d’une copie contre émargement, à l’intéressé,