François Compaoré, à Paris le 12 septembre 2017. Ph. Vincent Fournier / JA

La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui devrait se prononcer hier, 13 juin 2018, sur la demande d’extradition de François Compaoré, faite par les autorités burkinabè, a décidé de renvoyer le dossier au 3 octobre prochain. Nous avons pu obtenir l’arrêt ordonnant un complément d’informations sur la demande d’extradition du frère cadet de Blaise Compaoré, que nous publions in extenso. 

 COUR D’APPEL DE PARIS PÔLE

CINQUIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION­

– EXTRADITION- ARRÊT

Prononcé en audience publique le  13 juin 2018 et donnant en sa présence un avis sur la demande d’extradition de COMPAORE Paul  François né le 11 janvier 1954 à  Ouagadougou (Burkina Faso) fils de COMPAORE Bila Maurice et de BOUGOUMA Thérèse de nationalité burkinabè et ivoirienne, domicilié 39 quai de Grenelle – 75015 PARIS.

Placé sous contrôle judiciaire  le 30.10.2017 par ordonnance du juge délégué par  le Premier Président de la Cour  d’appel de Paris

Assisté de Me SUR Pierre-Olivier, avocat

– entendu  sans 1’assistance d’un interprète, 1’intéressayant déclaré comprendre et parler la langue française

COMPOSITION DE LA COUR  lors des débats, du délibéré et du prononcé de l’arrêt

Mme CHAPELLE, Président,

Mme CAZENAVE-LACROUTZ, Conseiller,

  1. ALBERT, Conseiller,

tous trois désignés conformément à l’article 191 du code de procédure pénale. GREFFIER: Mme BINART, aux débats et au prononcé de l’arrêt MINISTÈRE PUBLIC :

représenté aux débats PAR Mme TARON  et au prononcé de l’arrêt par Mme AUBE-LOTTE, Avocat Général.

DEBATS:

A l’audience publique du 28 Mars 2018 ont été entendus:

–  COMPAORE  Paul  François,  en  son  interrogatoire  conformément   aux articles 696-13 à 696-15 du code de procédure pénale dont le procès-verbal a été dressé,

– Mme CHAPELLE, Présidente, en son rapport

-Mme TARON, Avocat Général, en ses réquisitions

-Me SAUVAYRE  ET Me QUISSE, avocats de l’Etat  intervenant  habilités à intervenir aux audiences par arrêt séparé de la Cour en date du 13.12.2017

-Me SUR Pierre-Olivier, avocat du comparant et celui-ci lui-même, qui a eu la parole le dernier, en leurs observations.

Le comparant  s’est  exprimé sans l’assistance d’un   interprète,  l’intéressé ayant déclarer comprendre et parler la langue française.

L’affaire  a été mise en délibéré pour décision de la Cour être prononcée à 1’audience du  13 juin 2018 à 14 heures ;

RAPPEL DE LA PROCÉDURE ET DES FAITS

Par note verbale de son ambassade à Paris en date du 30 octobre 2017, parvenue le même jour au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, et parvenue le 10 novembre 2017 au ministère de la Justice et le 13 novembre 2017 au greffe de la chambre de l’instruction, le Gouvernement du Burkina Faso a sollicité l’extradition de Paul François COMPAORE aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt international délivré le 5 mai 2017 par monsieur Emile Zerbo, juge d’instruction au tribunal  de Ouagadougou,  pour des faits  d’incitation à assassinats commis à Ouagadougou  le 13 décembre 1998.

Le 29 octobre 2017, COMPAORE Paul François a été interpellé à 1’aéroport de Roissy Charles de Gaulle ;

Le 30 octobre 2017, le Procureur Général a procédé à l’interrogatoire de l’intéressé dont il a été dressé procès-verbal.

Le même jour, il a été présenté devant le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel  qui l’a placé sous écrou sous contrôle judiciaire;

la demande d’extradition étant parvenue au greffe de la chambre de l’instruction le 13 novembre 2017 ; des pièces complémentaires ont été reçues le 29.11.2017 et le 13 décembre 2017 à la chambre de l’instruction;

Le 4 décembre 2017, le procureur général a notifié la demande d’extradition émanant du Gouvernement de Burkina Faso et renvoyé 1’examen de la cause à l’audience du 13.12.2017;

A l’audience publique de la Chambre de l’instruction du l3 décembre 2017, notification a été faite du titre en vertu duquel l’arrestation a eu lieu, ainsi que des pièces produites à l’appui de la demande d’extradition et des pièces complémentaires adressées par le Burkina Faso par la voie diplomatique, reçues les 29 novembre 2017.

Par arrêt en date du 13 décembre 2017, la Cour a autorisé Me SAUVAYRE ET Me Anta GUISSE, avocats habilités par les autorités du gouvernement du BURKINA FASO à intervenir aux audiences de la chambre de l’instruction;

Informé des dispositions de l’article  696-26 du Code de procédure pénale et notamment de sa faculté de consentir ou de s’opposer à cette demande d’extradition et des conséquences juridiques d’un consentement, COMPAORE Paul François a refusé sa remise.

L’examen de la demande a été renvoyé à l’audience publique de la chambre de l’instruction du 7 mars 2018 et au 28 mars 2018 à la demande des avocats de Monsieur COMPAORE;

A l’audience du 28 mars 2018, les pièces reçues le 13.12.2017 ont été notifiées à 1’intéressé ;

Le 26 mars 2018, le parquet général a déposé ses réquisitions sollicitant de la cour:

-qu’elle renvoie l’examen de la procédure dans l’attente des éléments sollicités auprès des autorités de l’Etat requérant et des autorités françaises

– au fond, qu’elle ordonne un complément d’information qui portera notamment sur les points suivants :

* la détermination de l’accord de coopération applicable

* les peines applicables  au Burkina Faso et notamment la peine de mort et le régime de peine applicable en cas de prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie (directement  ou par suite de commutation de la peine capitale)

* la qualité des personnes ayant signé les documents d’engagement du ministère de la Justice burkinabé

* le déroulement  de la procédure pénale  au Burkina  Faso  et notamment  les conditions de délivrance d’un mandat  d’arrêt

*le degré d’implication de Paul François COMPAORE dans les faits qui sont à l’origine de la présente demande  d’extradition.

Le 21 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François,  a déposé au  greffe de la chambre  de l’instruction, un mémoire  visé  par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.

Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait exposer par la voie de son avocat qu’il a été entendu à deux reprises par la commission d’enquête indépendante sous le statut de simple témoin. Le rapport intermédiaire de cette commission n’attribue  aucune responsabilité à François COMPAORE dans le meurtre. La justice a concouru à la manifestation de la vérité et François COMPAORE a été entendu à deux reprises par le juge d’instruction.  La condamnation du Burkina-Faso par la Cour africaine des droits de l’homme ne met pas en cause François COMPAORE puisqu’elle vise principalement le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Cette cour a mis en cause l’Etat burkinabé pour n’être pas allé chercher d’autres pistes, notamment celles évoquées par la commission d’enquête indépendante en mai 1999.

Le 30 mars 2015, l’information a été réouverte en raisons de charges nouvelles sur la base de pièces méconnues jusqu’alors dans la procédure. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement requérant dans la requête d’extradition, il n’est aucunement fait mention de documents qui auraient été découverts au domicile de François COMPAORE et son nom n’apparaît pas dans les réquisitions du procureur aux fms de réouverture du dossier. Ni cet acte ni les documents mentionnés n’ont été communiqués à la chambre de l’instruction.

Les éléments transmis par Interpol ne démontrent en rien les allégations développées.

Par ailleurs, les conditions de forme de la requête en extradition ne sont pas réunies.

En effet, selon l’article  77 du code de procédure pénale burkinabé, un mandat d’arrêt  ne peut  être délivré qu’à  l’encontre  d’une  personne  inculpée  ;  or, François COMPAORE  n’a  jamais été inculpé dans l’information en cause. Aucun  mandat  d’arrêt  n’ayant  pu  être délivré  à son encontre, il  n’est  pas poursuivi  comme  exigé  par l’accord de coopération  entre  la  France  et le Burkina-Faso.

Des doutes subsistent quant à 1’auteur et à la date du mandat d’arrêt. Le mandat d’arrêt est en date du 5 mai 2017 tandis qu’en  août et septembre  2017, les avocats de l’intéressé étaient informés qu’aucune  fiche de recherche  n’était enregistrée et la notice rouge d’INTERPOL a été modifiée le 4 août 2017 pour antidater le jour de délivrance du mandat d’arrêt du 2 août au 5 mai 2017.

La notice rouge indique par ailleurs que le mandat d’arrêt  est délivré  par le procureur du Faso près le tribunal de Ouagadougou et signé Maïza Sérémé.

Ce mandat d’arrêt est imprécis, contrairement à ce qui est exigé par les articles 52 de 1’accord de coopération et de justice et 696-8 du code de procédure pénale et contrairement à plusieurs arrêts rendus par la chambre de l’instruction de Paris sur des demandes d’extradition sur le point de l’indication des faits précis au titre desquels la demande d’extradition  est faite.

L’Etat du Burkina Faso n’apporte  aucune précision suffisante sur la nature du ou des faits matériels qualifiés d’incitation de nature à soutenir 1’implication de François  COMPAORE  dans la commission  des faits visés dans la requête d’extradition. Le dossier ne contient aucune pièce nouvelle et lorsqu’il vise des documents  trouvés  dans  la  maison  de  François  COMPAORE, il n’y   a rigoureusement aucune pièce produite en ce sens. S’il était extradé, il serait jugé pour des faits imprécis, commis, compte tenu  de l’infraction d’incitation à l’assassinat,  nécessairement avant le 13 décembre  1998, date de la mort des quatre victimes.

Quant aux conditions de fond de l’extradition, elles ne sont pas réunies. L’article 696-4 2° du code de procédure pénale prévoit que l’extradition n’est pas accordée lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique. Selon l’arrêt KONE du Conseil d’Etat du 3 juillet 1996, c’est un principe fondamental reconnu par les lois de la République que l’Etat requis doit refuser l’extradition d’un étranger lorsque celle-ci est demandée dans un but politique.   Est également  rappelé 1’article 3 § 2 de la convention européenne d’extradition.

Dans  le  cas  d’espèce,   c’est   devant  l’impossibilité  de  poursuivre  Blaise COMPAORE devant la Haute cour de justice que la requête en extradition  de François COMPAORE, le frère du premier, a été formée.

François COMPAORE a un parti, le CDP, et des élections auront lieu en 2020.

La requête en extradition est donc un moyen de nuire au clan COMPAORE,  regroupé  au  sein  du  CDP.   La  procédure   d’extradition  visant   François COMPAORE a fait l’objet  d’une instrumentalisation politique.

Le mandat d’arrêt  du 5 mai 2017 aurait été signé par Maïza Sérémé, sœur de Saran Sérémé,  devenue une des principales  opposantes  au président  Blaise COMPAORE.

A la suite des attentats terroristes  du 2 mars 2018, certains ont évoqué  des possibilités de complicités au sein de l’armée  burkinabé, voire un lien avec le procès de deux proches de Blaise COMPAORE et certains s’interrogent sur les liens entre ces attentats et le régime déchu de Blaise COMPAORE, qui est vilipendé par ses successeurs pour avoir eu des contacts avec des islamistes. Pour ne pas prendre le risque qu’un nouvel attentat fasse regretter l’ère COMPAORE, le gouvernement n’hésite pas à instrumentaliser chaque attaque pour accuser Blaise COMPAORE et ses soutiens de vouloir déstabiliser le pays. Dans ce contexte d’instrumentalisation, l’extradition de François COMPAORE aurait des conséquences  d’une  gravité exceptionnelle  pour sa sécurité et son intégrité physique.

La condition de double incrimination n’est pas respectée.

L’infraction  d’incitation à l’assassinat n’est  ni prévue ni réprimée par le droit français et l’incitation ne saurait être confondue avec la complicité, les modes de complicité étant, aux termes du code pénal français, l’aide,  l’assistance, la provocation et les instructions pour commettre une infraction.  L’article 221-5-1 du code pénal ne saurait trouver application puisqu’il se réfère à la situation dans laquelle le crime d’assassinat n’a été ni commis ni tenté.

Il n’y a pas d’éléments nouveaux dans l’affaire ZONGO justifiant la requête en extradition. Les accusations contenues dans la requête en extradition  ne sont aucunement étayées par le Burkina Faso. L’ordonnance de réouverture de l’information du 7 avril 2015 n’a  pas été versée au dossier d’extradition. Les réquisitions du procureur du 30 mars 2015 ne font nullement état de la découverte au domicile de François COMPAORE de plusieurs documents.

François COMPAORE encourt la peine capitale et par ailleurs, le mémoire développe une argumentation autour du « syndrome du couloir de la mort ».  Est à cet égard citée la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (décision Soering contre Royaume-Uni, 7 juillet 1989). Une peine perpétuelle doit en outre, pour être compatible avec 1’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme, selon la jurisprudence de la cour, offrir une possibilité d’aménagement de peine, par exemple la possibilité de demander une libération conditionnelle.

Les assurances fournies par le gouvernement de l’Etat  requérant sont insuffisantes; la peine de mort est inscrite  dans  la législation  de l’Etat et l’histoire récente démontre que la parole de l’Etat a peu de crédit. Le seul risque que la peine de mort soit encourue, prononcée puis éventuellement in fine exécutée ferait naître chez François COMPAORE  l’angoisse caractérisant  le syndrome du couloir de la mort ». Compte des dispositions de la législation du Burkina Faso, la personne extradée pour des motifs politiques soit sollicite sa grâce au risque, potentiellement, de la voir refusée soit ne la sollicite pas mais va souffrir du « syndrome du couloir de la mort ».

En tout état de cause, un emprisonnement  à vie serait également contraire aux droits humains et notamment à 1’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme. Que la peine soit la mort ou l’emprisonnement à vie, 1’extradition de François COMPAORE violerait les obligations internationales de la France.

Quant aux garanties du droit au respect du procès équitable auquel se réfère l’article 696-4 7° du code de procédure pénale et la convention européenne des droits de 1’homme en son article 6 ainsi que la Charte africaine des droits de 1’homme et des peuples, divers rapports qui font foi expressément cités dans le mémoire (FIDH, MBDHP en vue de l’examen du Burkina Faso par le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies  en 2016, Observatoire de la démocratie et des droits de l’homme du Burkina Faso) dénoncent les institutions du Burkina Faso et notamment la justice au regard de la corruption.

Les  conditions  de  détention  au  Burkina  Faso  font  également  l’objet   de dénonciations, notamment par Amnesty International dans son rapport d’octobre 2017. Les proches de Luc Adolphe TIAO, ancien Premier ministre de Blaise COMPAORE, ont précisément dénoncé les conditions de détention humiliantes de l’intéressé à la MACO, lieu où serait incarcéré François COMPAORE.

Est citée dans le mémoire 1’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 14 mars 2018 qui a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Paris et qui a rejeté la demande du Sénégal de confiscation des biens en France de Karim WADE au seul motif de non-respect  de la double incrimination,  le droit français ne connaissant pas l’infraction d’enrichissement illicite. Le parallèle est fait entre la présente demande d’extradition et la tentative d’instrumentalisation de la justice française. De même que la cour d’appel  a rejeté la demande du Sénégal, la chambre de l’instruction rendra un avis défavorable à la demande présentée par le Burkina Faso.

L’hypothèse d’un renvoi doit être écartée.

L’hypothèse  d’un renvoi aux fins de demander  aux autorités du Burkina Faso un complément  d’information aux fins de verser les pièces élémentaires  qui fondent le mandat d’arrêt est illusoire. Elle risquerait de conduire à la production de faux témoignages par attestations dont la véracité et la crédibilité seraient plus que dubitatives.

Il est donc demandé à la chambre de l’instruction de :

-CONSTATER l’irrégularité du titre d’arrestation;

-CONSTATER  l’imprécision du mandat d’arrêt ;

–  CONSTATER   la  nature  politique   de  la demande  d’extradition   et  les conséquences d’une gravité exceptionnelle qu’auraient la remise ;

–  CONSTATER le non-respect de la condition de double-incrimination ;

–  CONSTATER l’absence d’éléments nouveaux justifiant la requête;

–  CONSTATER  le  risque  de  peine  capitale,  de  syndrome  du couloir  de la  mort  et de peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de réexamen ;

–  CONSTATER   l’absence  de  respect  des  garanties  du  droit  à un  procès équitable;

–  CONSTATER les conditions de détention inhumaines au Burkina Faso. En. conséquence,

– EMETTRE  un avis  défavorable  à la demande  d’extradition  formulée  par le  Burkina Faso à rencontre de François Compaoré,

–  METTRE FIN au contrôle judiciaire.

Le 22 mars 2018, Me SUR avocat de COMPAORE Paul François,  a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.

Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait communiquer deux articles,  l’un  en date  du  20  mars  2018  du  journal  MEDIAPART  intitulé « Burkina Faso: les terroristes étaient liés au président déchu Blaise Compaoré », ce qui laisse augurer l’accueil  qui serait fait au concluant dans l’hypothèse de son extradition  et 1’autre, en date du 22 mars 2018 du journal L’Observateur qui fait état d’une  condamnation  à mort prononcée lors de la dernière session d’assises de la cour de Kaya.

Le 26 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François,  a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire n° 2 visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.

Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François fait valoir que si la cour considérait qu’un renvoi était nécessaire aux fins de supplément d’information, la défense solliciterait la mainlevée  pure et simple des mesures de contrôle judiciaire qui ne seraient pas nécessaires à la garantie de sa représentation lors d’une prochaine audience, eu égard à ses attaches familiales durables en France. Est joint à ce mémoire un appel à la mobilisation du Balai Citoyen aux fins d’assister  à l’audience  du 28 mars 2018. Selon la défense, les termes de cet article sont la preuve de la véritable nature de l’affaire.

Le 27 mars 2018, Me SUR, avocat de COMPAORE Paul François,  a déposé au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire complémentaire n° 3 visé par le greffier, communiqué au Ministère Public et classé au dossier.

Dans ce mémoire, COMPAORE Paul François joint une attestation de du vice-bâtonnier de Paris, Me Laurent MARTINET, par laquelle il certifie avoir visité les quartiers des condamnés  à mort de la prison de Ouagadougou lors d’une visite officielle au cours des années 2014 et 2015.  Il avait pu constater que les détenus localisés dans le quartier des condamnés à mort ne pouvaient à aucun moment voir la lumière, ce quartier étant totalement noir et dépourvu de toute fenêtre ou d’accès à la lumière, rendant les conditions de détention absolument terribles.

DECISION

prise après en avoir délibéré conformément à l’article 200 du code de procédure pénale

EN LA FORME

Considérant qu’il a été satisfait aux formes et aux délais prescrits :

par les  articles  696-8  et  suivants  du code  de  Procédure  Pénale  relatifs  à l’extradition des étrangers; que la procédure est donc régulière en la forme.

AU FOND

Par note verbale de son ambassade à Paris en date du 30 octobre 2017, parvenue le même jour au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, et parvenue le 10 novembre 2017 au ministère de la Justice et le 13 novembre 2017 au greffe de la chambre de l’instruction, le Gouvernement  du Burkina Faso a sollicité l’extradition de Paul François COMPAORE aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt international délivré le 5 mai 2017 par monsieur Emile Zerbo, juge d’instruction au tribunal de Ouagadougou, pour des faits d’incitation à assassinats commis à Ouagadougou  le 13 décembre 1998.

Devant la chambre de l’instruction, COMPAORE Paul François   a reconnu que le titre en vertu duquel la demande d’extradition est présentée s’applique bien à sa personne. Il n’a pas consenti à être remis aux autorités Gouvernement de Burkina Faso requérantes.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la demande d’extradition est ainsi rédigée :

« Je soussigné Emile ZERBO, juge d’instruction en charge du cabinet n° 4 du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, Burkina Faso, a l’honneur de requérir  l’autorité compétente  de  la  République  française  en  vertu  de l’accord   de   coopération   en   matière de justice du 24 avril 1961, pour l’extradition de COMPAORE  Paul François, de nationalités burkinabé et ivoirienne vers le Burkina Faso. COMPAORE Paul François, né le 11 janvier 1954 à Ouagadougou de COMPAORE  B. Maurice  et  de  BOUGOUMA Thérèse marié à Salah COMPAORE née OUEDRAOGO ayant un domicile en France à été interpellé à l’aéroport Roissy Charles DE GAULLE,  ce 29 octobre 2017 à 6h 45 mn en exécution d’un mandat d’arrêt délivré contre lui le 5 mai 2017.

COMPAORE Paul François doit répondre des faits d’incitation à assassinats qui sont prévus et punis par les articles 69, 318, 319,320, 324 et 347 du code pénal burkinabé.

RAPPORT DES FAITS

Le dimanche 13 décembre 1998, aux environs de 16 heures, le Commissariat de   police    de   Sapouy    était   avisé  par    des   usagers   de   la   route Léo-Sapouy-Ouagadougou de ce qu’un véhicule de marque Toyota de type Land Cruiser 4×4 immatriculé Il J 6485 BF immobilisé à environ sept (07) kilomètres de la sortie sud de Sapouy en direction de Léo était enfeu  et qu’une personne gravement blessée gisait sur le côté gauche du véhicule.

Les agents de police se transportaient alors sur les lieux pour constater  les faits. Le procès-verbal dressé  par eux indiquait, qu’en  dehors du corps qui gisait à côté du véhicule, il y avait trois autres corps calcinés dans ledit véhicule.

L’enquête de police ouverte à la suite de ces faits permettait d’identifier le véhicule et ses occupants. Il s’agissait de Abdoulaye NJKIEMA dit Ablassé, de Ernest Yembi ZONGO, de Biaise ILBOUDO et de Norbert ZONGO, Journaliste  d’Investigation.                Par  la  suite,  une  Commission  d’Enquête Indépendante (CEl) était mise en place pour tenter d’élucider  les faits.  Les conclusions de ladite Commission d’Enquête Indépendante faisaient ressortir que les sus nommés n’avaient pas été victimes d’un accident de la circulation mais plutôt d’un assassinat dont Norbert ZONGO était la cible principale ; Que ses compagnons avaient été assassinés pour ne pas laisser des témoins gênants ;

Que  Norbert  ZONGO  avait   été   assassiné  parce  qu’il  pratiquait  un journalisme engagé; Qu’il fallait allé chercher le mobile de son assassinat dans les enquêtes qu’il menait notamment ses investigations concernant la  mort de  David  OUEDRAOGO, chauffeur  de  Paul  François  COMPAORE,  le frère cadet de Biaise COMPAORE, Président du Faso de l’époque.

L’information judiciaire ouverte à l’issue avait été clôturée par un non-lieu en 2006 après la mort de l’Adjudant KAFANDO Marcel qui était le seul inculpé dans l’affaire.  La réouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015, a été motivée  par la découverte  au domicile du sieur Paul François COMPAORE  de plusieurs documents  laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO et ce depuis 1996, mais qu’il était aussi aux petits soins des présumés exécutants de l’assassinat  de  Norbert ZONGO et de ses compagnons et ce avant et après le 13 décembre 1998.

Les investigations menées depuis, ont établi que :

  • Norbert ZONGO, Abdoulaye NIKIEMA dit Ablassé, Ernest Yembi ZONGO, et Biaise ILBOUDO ne sont pas morts accidentellement mais qu’ils ont été assassinés ;
  • Norbert ZONGO  était  la  cible  principale  des  assassins  et  que  ses compagnons étaient des victimes collatérales ;
  • Norbert ZONGO a été  tué  à causes  de ses  investigations  sur la  mort dans des conditions affreuses de David OUEDRAOGO chauffeur de Paul François COMPAORE;
  • Les ‘assassinats  dé  Norbert  ZONGO  et  de  ses  compagnons  ont  été planifiés par l’Adjudant Marcel KAFANDO, chef de la sécurité rapprochée du  Président  du Faso de  l’époque  et  homme  de main de  Paul François

COMPAORE;

  • Paul François COMPAORE, frère cadet du Président du Faso et conseillerà la présidence suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO depuis 1996 à travers les services de renseignement;
  • Paul François  COMPAORE   a  proféré   des   menaces   contre  Norbert ZONGO promettant de mettre fin aux écrits de ce dernier;
  • Les   quatre   exécutants    des   assassinats    étaient   des   militaires    de l’ex-Régiment    de   Sécurité    Présidentielle    proches    de   Paul   François COMPAORE et ont agi sur incitation de ce dernier;
  • Avant et après les faits, le chef de la sécurité rapprochée du Président, organisateur des assassinats ainsi les exécutants ont reçu des présents de la part de Paul François COMPAORE;
  • Paul François COMPAORE a approuvé la mort de Norbert ZONGO;
  • Paul François COMPAORE a promis et fait sanctionner les militaires de la sécurité présidentielle  qui  avaient  verbalement  condamné  ces assassinats;
  • Paul François COMPAORE suivait la procédure et était en possession des procès-verbaux   de  déposition   des  témoins  les  plus  importants   pendant l’instruction de l’affaire.

Je certifie que COMPAORE  Paul François ne sera pas poursuivi  pour des crimes autres que ceux indiqués dans la demande. » ;

Considérant que la matière de l’extradition entre le Burkina Faso et la France est, au jour où la cour statue, régie par l’accord  de coopération en matière de justice entre la République française et la République  de Haute-Volta, fait à Paris le 24 avril 1961 et plus particulièrement par les articles 46 à 62 de cet accord ; qu’aucune  autre convention  relative à l’extradition n’est  entrée en vigueur à ce jour;

Que néanmoins, le procureur général note dans ses réquisitions écrites qu’une convention d’extradition  devait être signée entre les deux Etats au mois de novembre 2017; qu’il y a lieu de demander au ministère français de la justice quand cette nouvelle convention est susceptible de trouver application et si elle est susceptible de s’appliquer à la présente demande ;

Considérant  que s’il  n’appartient pas aux autorités françaises,  en matière d’extradition, de connaître de la réalité des charges pesant sur François COMPAORE,  il incombe cependant à la cour de veiller au respect des stipulations conventionnelles  et légales applicables au cas d’espèce  et notamment à celles de l’accord  du 24 avril 1961 précité et à celles des articles 696-8  et suivants  du  code de procédure  pénale  relatifs  à 1’extradition  des étrangers;

Considérant que dans son mémoire en défense, François COMPAORE demande que l’examen de la demande d’extradition ne soit pas renvoyé; qu’il fait valoir que la fixation de la date de l’audience a largement laissé du temps au débat contradictoire  et à l’échange  de pièces tandis que le Burkina Faso demande 1’extradition sans apporter aucun élément au fondement de sa requête et ce quand bien même la procédure lui en a donné le temps ;

Considérant  que l’article  55 de l’accord  prévoit que lorsque des renseignements complémentaires  lui seront indispensables pour s’assurer  que les conditions requises par l’accord  sont réunies, l’Etat  requis, dans le cas où 1’omission lui apparaîtra susceptible d’être réparée, avertira l’Etat requérant par la voie diplomatique avant de rejeter la demande ; qu’un délai pourra être fixé par l’Etat requis pour l’obtention de ces renseignements;

Considérant par ailleurs que l’article 52 de l’accord prévoit que la demande d’extradition sera accompagnée de1’original ou de1’expédition authentique soit d’une décision de condamnation exécutoire soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre acte ayant la même force et décerné dans les formes prescrites par la loi de l’Etat  requérant ; que ce même article prévoit également que les circonstances des faits pour lesquels l’extradition est demandée, le temps et le lieu où ils ont été commis, la qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiquées le plus exactement possible ; qu’il sera joint une copie des dispositions légales applicables ;

Considérant qu’il  est exposé dans la demande d’extradition  que Norbert ZONGO avait été assassiné parce qu’il  pratiquait un journalisme engagé; qu’il fallait allé chercher le mobile de son assassinat dans les enquêtes qu’il menait, notamment ses investigations concernant la mort de David OUEDRAOGO, chauffeur de Paul  François COMPAORE,  le  frère  cadet de Biaise COMPAORE, Président du Faso de l’époque; que la réouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015 a été motivée par la découverte au domicile du sieur Paul François COMPAORE   de plusieurs documents laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert ZONGO et ce depuis 1996, mais qu’il était aussi aux petits soins des présumés exécutants de l’assassinat de Norbert ZONGO et de ses compagnons et ce avant  et après le 13 décembre 1998 ;

Que de même, le procureur général près la cour d’appel de Ouagadougou, dans une note du 6 novembre 2017, expose qu’ « à la faveur de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 plusieurs documents ont été découverts au domicile de monsieur François Paul COMPAORE, il ressort de la demande d’extradition …que les investigations menées ont établi que plusieurs éléments à charge pèsent sur François Paul COMPAORE »;

Considérant néanmoins qu’en l’état de la demande d’extradition, si l’Etat requérant reproche à Paul François COMPAORE l’infraction d’incitation  à assassinats, les éléments exposés, qui reposent sur des affirmations et présomptions des autorités requérantes, sont insuffisants à caractériser des faits matériels précis qui pourraient lui être imputés dans les assassinats objet de l’enquête; qu’à ce jour, la cour ne dispose pas d’éléments suffisants relatifs à la matérialité des faits imputés à François COMPAORE ;

Que la cour rappelle que les faits en cause sont constitutifs de quatre assassinats, trois des victimes semblant avoir été assassinées uniquement pour couvrir l’assassinat du journaliste Norbert ZONGO ;

Qu’il y a lieu dans ces conditions de demander aux autorités requérantes par la voie d’un  complément d’information,  en application  de l’article  55 de l’accord précité, de fournir des éléments matériels précis de nature à impliquer directement François COMPAORE dans la commission des quatre assassinats;

Que par ailleurs, il est mentionné dans la requête en extradition que le dossier a été réouvert pour charges nouvelles le 7 avril 2015 ; que cependant  n’a été joint à la demande d’extradition que le « réquisitoire aux fins de réouverture et de saisine de juge d’instruction » du procureur  général de la cour d’appel  de Ouagadougou, Monsieur  Laurent PODA, en date du 30 mars 2015 ; que ce magistrat fait état dans son réquisitoire de pièces « jusque -à méconnues dans la procédure » produites par « les ayants droits de Norbert ZONGO et autres » ;

Qu’il y a lieu de demander aux autorités de 1’Etat requis de produire1’acte par lequel le dossier a été ré-ouvert pour charges nouvelles, le 7 avril 2015 ;

Considérant que François COMPAORE fait valoir pour sa défense que son inculpation était un préalable nécessaire à son arrestation sur mandat et qu’il n’a été entendu que comme simple témoin; que la délivrance du mandat d’arrêt, dont il conteste la date, est irrégulière ;

Que si les autorités de l’Etat  requérant ont produit à l’appui  de la demande d’extradition, les textes d’incrimination et de répression de l’homicide volontaire ainsi que les textes relatifs à la prescription de l’action  publique et aux pouvoirs du juge d’instruction, elles n’ont pas produit les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt;

Qu’il y a lieu de demander que ces autorités produisent les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt;

Considérant enfin que les autorités requérantes n’ont pas fourni d’éléments sur le régime d’application des peines dans la procédure pénale du Burkina Faso et notamment pas sur le point de savoir s’il existe un régime d’aménagement des peines en fonction de leur durée et particulièrement  dans le cas d’une  peine d’emprisonnement à vie;

Que ces informations seront également demandées aux autorités requérantes par la voie du complément d’information ;

Considérant qu’il  y a lieu de maintenir le contrôle judiciaire ordonné le 30 octobre 2017; que cette mesure de sûreté est en effet toujours nécessaire pour assurer le maintien de François COMPAORE à la disposition de la justice ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Vu l’accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Haute-Volta, fait à Paris le 24 avril1961 ;

Vu les articles 696-8 et suivants du Code de procédure pénale ;

ORDONNE que le ministère français de la justice informe la cour sur le point  de savoir  quand  la nouvelle  convention  d’extradition signée  entre la France et le Burkina Faso est susceptible de trouver application  et si elle est susceptible de s’appliquer à la présente demande;

ORDONNE un supplément d’information afin que les autorités de l’Etat du Burkina Faso :

– fournissent des éléments matériels précis qui seraient de nature à impliquer directement François COMPAORE dans la commission des quatre assassinats;

– produisent 1’acte par lequel le dossier a été réouvert pour charges nouvelles, le 7 avril2015;

– produisent les textes relatifs à la délivrance des mandats et spécialement du mandat d’arrêt ;

– fournissent toutes informations utiles sur le point de savoir s’il  existe un régime d’aménagement des peines en fonction de leur durée et particulièrement dans le cas d’une peine d’emprisonnement à vie ;

ORDONNE le maintien  du contrôle judiciaire  prononcé le 30.10.2017 ;

ORDONNE le renvoi du dossier à l’audience du mercredi 3 octobre 2018 à 14 heures

Et dit qu’à la diligence de Mme le Procureur Général le dossier sera envoyé à Mme le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, avec une expédition authentique du présent arrêt.

La présente décision a été notifiée, ce jour, par remise d’une copie contre émargement, à l’intéressé,

 

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