Eddie Komboïgo, bien connu jadis dans le milieu des affaires, est devenu un homme politique aux dents acérées. Malgré l’adversité, l’enfant de Yako a réussi à reprendre la tête du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Sa mission : reconstruire l’ancien parti au pouvoir dont la traversée du désert a débuté en octobre 2014. Son objectif : ramener le CDP au pouvoir dès 2020. Là aussi, Eddie et ses camarades doivent, à la fois, gérer au mieux leurs contradictions internes et faire face à l’adversité externe. C’est dans cette ambiance que Eddie Komboïgo nous a reçu le jeudi 7 juin dernier, à son bureau sis à la ZACA, dans le cadre de notre rubrique « Mardi Politique ». Au micro et hors micro, Eddie nous a dit beaucoup de choses sur plusieurs sujets. Évidemment, dans les lignes qui suivent, il est question des propos « au micro ». Lisez plutôt.
« Le Pays » : Vous avez été élu à la tête du CDP sur fond de tensions. Ne craignez-vous pas pour l’avenir du parti ?
Eddie Komboïgo : Avant de répondre à votre question, permettez-moi de revenir sur les relations entre le CDP et le journal « Le Pays ». Je crois que « Le Pays » est un journal qui a une grande expérience professionnelle, qui n’a certainement pas besoin de titres ronflants pour pouvoir vendre deux ou trois exemplaires de plus. Je vous invite à rester professionnel. Dans le passé, j’ai vu des titres parfois à polémique inutile. Le CDP vient de loin et n’entend pas entrer dans la polémique stérile. Nous souhaitons porter un message de paix, de rassemblement et d’unité pour le Burkina Faso. Donc, je vous invite, lorsqu’il s’agit du CDP, d’éviter des titres à scandale qui enflamment les réseaux sociaux
Pensez-vous donc que « Le Pays » a quelque chose contre vous ?
Pas du tout. C’est seulement une incompréhension qui est née suite à la publication d’un article où j’estime que mes propos avaient été tronqués. J’ai invité le journal à relire et à m’écouter pour comprendre que la jonction des termes pour former le titre, n’était pas adéquate. Il aurait fallu corriger avec un rectificatif. Je demande seulement à ce que « Le Pays » reste professionnel comme il l’a toujours été.
On revient à notre question de départ sur les tensions qui ont marqué le dernier congrès du CDP ?
Moi, je ne crois pas que ce sont des tensions. Vous, les journalistes, vous exagérez. Un parti fonctionne ainsi. Ce sont parfois des contradictions secondaires internes. Tout le monde ne peut pas penser de la même manière. Les contradictions secondaires ne peuvent pas être des contradictions principales. Nous étions à une veille de congrès ; il était donc compréhensible qu’un certain nombre de personnes aient des ambitions pour diriger le parti ou occuper tel ou tel poste. Tout cela est derrière nous. Il n’y a pas eu de tensions. Nous avons cherché le consensus comme d’habitude. Nous ne l’avons pas trouvé et comme le recommandent nos textes fondamentaux, nous sommes passés au vote. J’ai été porté à la tête du parti. Nous remercions tous ceux qui ont voté pour nous et tous ceux qui ne l’ont pas fait. Nous comprenons le message des uns et des autres. Nous avons maintenant pour mission de travailler à l’unité et à la cohésion du parti afin de relever les défis présents et futurs.
Avant le congrès, beaucoup de sorties médiatiques indiquaient des tensions et des contradictions, signe d’un manque de cohésion au sein du parti !
Sorties médiatiques ne sont pas synonymes de tensions. Les contradictions font partie de la vie d’un parti. La vie d’un parti est une compilation de contradictions entre les membres, qu’il faut savoir contenir et gérer à l’interne. C’est fort dommage que certaines personnes aient voulu extérioriser cela. Je ne partage pas ce point de vue. J’invite toujours les camarades à résoudre leurs propres contradictions au sein du parti. C’est une expérience et je crois que les uns et les autres en ont tiré leçon. Cela nous fera progresser dans la démocratie.
Qu’entendez-vous par contradictions secondaires ?
Cela veut dire tout simplement qu’on a le même objectif : celui de conduire le CDP très haut. Vous aimez tous le parti. Vous voulez le diriger. Un autre militant le souhaite autant. Ce n’est pas une contradiction principale, étant donné que cela ne remet pas en cause l’orientation ou l’idéologie du parti. Ceux qui ne partagent pas l’orientation et l’idéologie du CDP, sont dans d’autres partis. Enfin…, vous verrez même que sur l’échiquier politique national, il y a peu de choses qui divisent les différents acteurs. Les contractions secondaires sont des contradictions de personnes. Je ne souhaite pas, par exemple, que ce soit telle ou telle autre personne qui dirige le parti. C’est secondaire. Les contradictions portant sur l’objectif et l’orientation du parti de même que son idéologie, sont des contradictions principales.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre vous et les autres candidats au poste de président du parti ?
Je n’en sais rien. Ce sont les militants qui m’ont élu ; c’est cela la différence
Avez-vous été choisi par le président Blaise Compaoré ou par les militants
Il faut être clair. Le président Compaoré a souhaité qu’il y ait un consensus. Dans un premier temps, nous avons accepté le consensus ; d’autres n’ont pas voulu l’accepter. L’un dans l’autre, comme il y a une disposition statutaire qui permet de trancher en l’absence de consensus, nous l’avons appliquée en allant au vote.
Peut-on considérer aujourd’hui que les rivalités qui ont créé des tensions au sein du parti, sont rangées aux oubliettes ?
Tout cela est derrière nous. Les militants du CDP sont d’une si grande maturité que vous ne pourriez l’imaginer. Beaucoup d’acteurs, journalistes comme adversaires, pronostiquent chaque jour, l’implosion ou l’explosion de notre parti mais cela n’arrivera pas. Je défie certains partis de passer par des votes pour élire leurs premiers responsables et on en appréciera l’issue. Le CDP a retrouvé sa stabilité. En tant que démocrates, nous sommes passés par la voie élective, de façon transparente, pour désigner le président de notre parti. C’est une première dans l’histoire politique de notre pays et même en Afrique francophone. L’objectif pour nous, c’est de relever les énormes défis qui nous attendent.
D’aucuns estiment que le CDP va voler en éclats. Pensez-vous que cela est une pure vue de l’esprit ?
Les gens se trompent littéralement.
Sur quoi vous basez-vous pour dire que les gens se trompent ?
Je le dis parce que le CDP est uni et avance dans la réalisation de ses objectifs.
Il se susurre que certains veulent créer leur parti politique. On parle notamment de Boureima Badini, Léonce Koné et Juliette Bonkoungou. En avez-vous eu vent ?
Cela me fait rigoler. Je les connais, les trois camarades dont vous parlez. Aucun d’eux n’a envoyé une lettre de démission au CDP et je ne crois pas qu’ils enverront une seule lettre de suspension de leur participation aux activités, encore moins de démission pour aller créer un autre parti politique.
Comment qualifierez-vous vos relations avec Léonce Koné particulièrement ?
Nos relations sont bonnes.
Est-ce que votre élection à la tête du parti fait de vous le candidat naturel de ce parti à la présidentielle de 2020 ?
Il n’y a pas de candidat naturel au CDP. Un parti fonctionne en tenant compte des contraintes politiques, géopolitiques et de l’actualité du moment. 2020 est encore loin et notre parti ne désigne pas un candidat d’office ou un candidat naturel. Au moment venu, les instances du parti vont encore se réunir pour trouver un candidat pour la présidentielle, des candidats pour les législatives et des candidats pour les municipales.
Pensez-vous déjà à vous positionner en tant que président du parti pour la présidentielle ?
On se positionne au moment venu. Mais pour l’instant, on n’ y est pas encore.
Vous êtes sûr que vous n’y pensez pas ?
(Rire aux éclats) A moins que vous n’entriez dans ma tête ! (Rire). Je pense amener le CDP à reconquérir le pouvoir d’Etat en 2020. C’est la mission qui m’a été confiée par le 7e congrès ordinaire du parti. Un point un trait.
Monsieur Eddie Komboïgo acceptera-t-il qu’un autre militant lui brûle la politesse pour être candidat du parti ?
Ce n’est pas une question de politesse. C’est plutôt une question d’opportunité et de réalisme. Si en 2020, les instances du parti se réunissent et disent que c’est X ou Y qui a de meilleures chances de conduire le CDP à la victoire présidentielle, législative et municipale, Eddie Komboïgo s’alignera.
Selon vous et en attendant 2020, quel est le profil du candidat idéal du CDP pour la présidentielle?
Le profil n’est pas dessiné par Eddie Komboïgo. Ce sont les instances du parti qui le font. Eddie ne constitue pas les instances du parti ; il en est le président. Au moment venu, nous allons définir des critères objectifs et un collège de désignation fera le reste.
Le nom de Kadré Désiré Ouédraogo revient régulièrement comme probable candidat du CDP pour la présidentielle de 2020. Qu’en dites-vous ?
Il y a aussi les noms de François Compaoré, Achille Tapsoba, Juliette Bonkoungou, Léonce Koné, Mélégué Maurice Traoré, etc. Il y a tellement de noms qui fusent aujourd’hui ; ce n’est pas le souci du CDP pour le moment. Pourquoi en faites-vous un problème aujourd’hui ? Le moment venu, le CDP vous dira qui est son candidat et justifiera son choix par des critères objectifs comme d’habitude. Soyez patients. Il n’y pas d’inquiétude à se faire. Je dirige un parti qui a une grande maturité et qui a suffisamment de ressources intellectuelles, de ressources humaines stables pour pouvoir faire des analyses et opérer des choix gagnants.
Dans la perspective de 2020, le Chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, évoque la possibilité d’une alliance entre votre parti et le sien pour terrasser le troisième baobab qu’est le MPP. Validez-vous ce scénario ?
Je vais vous dire qu’outre l’UPC de Zéphirin Diabré, beaucoup de partis vont rejoindre le CDP. Faites-moi confiance.
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Je suis un homme politique. Vous constaterez les résultats. Vous reviendrez certainement me demander comment je m’y suis pris. Je ne suis pas là pour dévoiler mes stratégies. Nous sommes en politique et l’adversité est atroce. Mais je vous dis déjà que l’objectif visé, c’est cela et ça va forcément arriver. Mes adversaires me connaissent suffisamment. Ils tenteront … mais ils ne pourront absolument rien.
Vous allez « casquer » ?
Casquer quoi ?
Vous allez mettre beaucoup d’argent sur la table pour attirer vos cibles ?
Il faut respecter les gens au Burkina. Je ne sais pas si on achète les gens dans ce pays ! Vous, en tant que journaliste, est-ce que je vous ai acheté pour venir m’interviewer ? Il faut respecter les Burkinabè ! Il faut respecter les partis politiques ! Il ne faut pas que chaque fois que deux Burkinabè s’associent pour faire quelque chose de bien, on pense que l’un a acheté l’autre. Nous savons où se trouve l’intérêt général du pays. Nous savons faire les concessions nécessaires pour défendre l’intérêt général des Burkinabè. C’est cela l’objectif de mon parti. Le CDP n’a pas d’argent pour acheter qui que ce soit. Le CDP a plutôt des arguments pour convaincre les uns et les autres.
Qu’est-ce qui vous fait penser que le CDP constitue un socle autour duquel d’autres partis peuvent se former pour relever les défis futurs ?
Je m’appelle Eddie Komboïgo. Ce n’est pas moi qui ai parlé de baobab. C’est un baobab qui a dit cela. Posez la question à Zéphirin. Demandez-lui pourquoi il pense qu’il faut nouer une alliance avec le CDP. En tout cas, nous allons l’accueillir à bras ouverts. Il est le bienvenu pour une alliance prochaine.
Revenir au pouvoir est-il une obsession pour le CDP ?
C’est un objectif politique parce que nous avons un souci, au regard de ce qui se passe actuellement. Vous voyez que rien ne va. L’économie est à un bas niveau. Le front social est en ébullition avec des grèves perlées. L’Etat n’arrive pas à boucler son budget. Il y a des affectations budgétaires qu’on n’a jamais vues au Burkina Faso : 94% du budget est consacré au fonctionnement. Il n’y a donc absolument rien pour l’investissement. Nous constatons que par manque de moyens de convaincre les banques de développement, on s’oriente vers les banques commerciales pour lever des fonds de financement pour l’investissement. C’est du jamais vu au Burkina. Vous avez vu la signature de la convention avec des banques commerciales de la place pour lever 100 milliards de F CFA pour un délai de 7 ans afin d’entretenir et de construire des routes. Notre pays ne doit pas fonctionner de la sorte.
Pouvez-vous être plus explicite ?
Pour les investissements, ce sont des taux concessionnels de 0,1 à 3%. Nous ne pouvons pas nous endetter à 6,5% pour un investissement à long terme. Les bons du Trésor dont on parle, c’est pour financer le fonctionnement parce qu’on sait que dans deux, trois mois, les recettes de l’Etat vont rentrer pour pouvoir rembourser ces emprunts ou avances de trésoreries aux taux de 5-6%. Mais lorsque vous vous engagez pour un délai de 7 ans pour construire des routes à un taux de 6,5%, c’est un manque de vision de la part du gouvernement. Cela veut dire réellement que le gouvernement conduit notre pays directement vers le mur parce que nous allons nous endetter et nous ne pourrons pas rembourser à terme. Ces investissements sont économiques et non financièrement productifs. Certes, on me dira que les recettes des péages sont importantes, mais elles sont loin de couvrir les montants de l’endettement et les charges y relatifs (intérêts produits par la dette). Nous allons appauvrir davantage l’Etat et nos populations. Parlant d’appauvrissement, je tente de dénoncer les accords Balles 2/Balles 3 où on indexe les capacités de financement de nos banques par rapport à leurs fonds propres effectifs. Personne ne nous a écouté et ne nous écoute. Dans la zone Franc, la règlementation bancaire est déjà rigide pour donner un crédit pour gérer les banques. On s’est rendu compte, ces dernières décennies, que dans chaque pays, des privés ont des capacités nécessaires en termes de ressources pour créer des banques. Et ces banques ont tellement évolué qu’elles occupent aujourd’hui les premiers rangs dans chaque pays. Dans les années 2000, nous avons encore signé des accords financiers au niveau de la BCEAO pour développer le marché financier où ces banques peuvent venir collecter des ressources sans limitation pour financer notre économie. Cela marchait très bien, mais les accords de Balles 2 et Balles 3 dont nous sommes signataires, limitent les capacités de refinancement de ces banques sur le marché financier. En effet, ces accords indexent les capacités de refinancement desdites banques commerciales à leurs fonds propres effectifs. Cette capacité de refinancement est maintenant limitée à une fois et demie de leurs fonds propres effectifs. Par exemple, si vous avez des fonds propres effectifs de 20 milliards, vous ne pouvez plus lever plus de 30 milliards de F CFA. Or, avant, quel que fut le niveau de vos fonds propres effectifs, vous pouviez aller sur le marché financier, lever 100, 150 et même 200 milliards de F CFA en fonction des activités que vous voulez financer, si les gens vous font confiance. Cela va amener nos banques locales à augmenter leurs fonds propres effectifs, c’est-à-dire à faire des augmentations de capital tous azimuts tout en sachant que ces banques locales n’ont pas la capacité d’augmenter de manière illimitée leurs fonds effectifs. Par conséquent, ces dispositions arrangeront qui ? Elles arrangeront les banques à capitaux non nationaux. Je ne les cite pas ici, mais vous les connaissez. Et ces banques qui étaient reléguées au second plan, vont revenir dans les deux, trois années au premier plan, parce qu’elles vont financer notre économie. Sur le financement de 100 milliards de F CFA, les plus grosses banques ont participé à hauteur de 20 milliards chacune. Elles ne lèvent pas les fonds sur le marché financier local. Elles demandent à leurs maisons mères respectives, qui prêtent à des taux de 1, 2 ou 3% en Europe, de venir prêter chez nous à des taux exorbitants de 6,5%. C’est une insulte à notre intelligence.
Quelles sont les conséquences pour nos pays ?
Les conséquences sont claires. On va tuer l’activité bancaire promue par les locaux. Et les banques à capitaux étrangers vont repasser au premier plan. Nous n’avons pas une politique de protection de nos entreprises et cela est dommage pour des dirigeants qui se disent éclairés. Je suis contre ces pratiques au niveau de la BCEAO, tout comme au niveau des ministères de l’Economie et des finances de nos pays. Du fond de ma prison, quand j’apprenais qu’on signait des accords Balles 2/Balles 3, j’en ai pleuré intérieurement.
Si c’était à vous de prendre la décision, qu’auriez-vous fait ?
Je n’aurais jamais signé ces accords. Jamais !!!
Parlant de la situation socio-économique difficile que connaît le Burkina, qu’aurait dû faire le président Roch à son arrivée au pouvoir, selon vous ?
Moi, je ne suis pas le président Roch. Ils ont dit qu’ils étaient la solution. Allez lui demander !
Si Eddie était le président actuel du Burkina, qu’aurait-t-il fait pour venir à bout de cette situation difficile ?
Premièrement, je travaillerais à la réconciliation nationale. Je pense qu’il y a trop de rancœurs, de dissensions et de la méfiance entre les Burkinabè. Avec l’insurrection, des Burkinabè ont accusé des Burkinabè à tort ; des Burkinabè ont détruit des Burkinabè à tort ; des Burkinabè ont détruit des biens de Burkinabè à tort. Pour moi, l’insurrection était une erreur ; c’est ma conviction. Tôt ou tard, on s’en rendra compte. Dire que l’on ne veut pas de la révision de l’article 37 est un droit ; mais s’insurger avec une telle violence au point de détruire notre propre économie, est une erreur parce que le changement qualitatif tant attendu, n’est pas arrivé. Et les insurgés le regrettent d’ ailleurs. Il faut transcender tout cela parce que même les victimes de l’insurrection ont compris qu’il faut pardonner et avancer. Nous attendons également un pardon accepté des insurgés parce que nous-mêmes, en tant que victimes, avons déjà pardonné. Une fois que nous aurons fini avec la réconciliation nationale, nous allons regarder les aspects économiques, de fonctionnement et de gestion de l’Etat. Malheureusement, nous ne sentons pas cela venir mais nous nous battons pour atteindre cet objectif avec la majorité actuelle.
Les nouveaux textes du CDP confèrent les pleins pouvoirs au fondateur du parti, en l’occurrence Blaise Compaoré. Est-ce que cette disposition ne fait pas de vous un faire-valoir ?
C’est vous qui le dites ! Moi je ne me sens pas dans la peau d’un faire-valoir. Les militants du CDP savent qui est leur président. Le président du parti conduit le parti ; un point un trait. Je me réjouis d’ailleurs d’être sous le conseil avisé du président Compaoré.
Vos adversaires vous reprochent d’être radin au motif que vous ne financeriez pas les activités du parti. Qu’en dites-vous ?
(Rire aux éclats) Qui vous a dit cela ?
Ce sont les bruits de Ouagadougou !
Je ne réponds pas aux bruits. Si vous demandez au CDP, je n’ai jamais dit que j’étais le seul ou l’unique à financer quoi que ce soit. Les militants du CDP savent ce que je fais pour le parti. Je me dépense moralement, physiquement et financièrement pour la bonne marche du parti. Je suis un expert-comptable et je vous dis que des ressources difficilement acquises sont rationnellement dépensées.
On vous sait proche du couple Diendéré. Mais depuis le coup d’Etat manqué de 2015, Fatou Diendéré est portée disparue. Avez-vous de ses nouvelles ?
Fatou Diendéré va très bien.
Quelles sont ses activités actuelles ?
Je n’en sais rien. Je sais seulement qu’elle se porte très bien.
Vous communiquez régulièrement avec elle ?
Même si je le faisais, je ne vous le dirais pas. Et comme je ne le fais pas, je ne vous le dis pas non plus.
Quel est votre avis sur le fonds commun ?
Le fonds commun se justifie. Il a toujours existé. Mais cela dépend de la manière dont on gère et dont on manage. Sous la gestion du CDP, à l’époque, il y avait le fonds commun mais c’était une stimulation. Malheureusement, des gens sont venus et ont estimé que ce que le CDP faisait n’était pas recommandé. Ils ont fait autrement et se sont rendu compte que c’était une bombe à retardement entre leurs mains. Alors, qu’ils trouvent la solution. Moi, ce que je retiens, c’est qu’on m’a dit simplement que la majorité actuelle était la solution. Et si la majorité est la solution, qu’elle trouve la solution au fonds commun. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire. Je souhaite que les agents du ministère des Finances reprennent rapidement du service pour l’intérêt du pays.
En contrepartie, qu’est-ce que le gouvernement doit donner aux agents en grève ?
Ce n’est pas nous qui gouvernons. Quand nous allons récupérer le pouvoir en 2020, vous pourrez revenir demander au CDP ce qu’il pourra faire. Gérer, c’est prévoir et je suis convaincu que nous trouverons la solution.
Si vous étiez en face des syndicats du ministère des Finances, vous leur diriez de reprendre le travail. Confirmez-vous cela ?
C’est très simpliste. Les agents du ministère de l’Economie et des finances revendiquent un droit et le ministre de l’Economie et des finances et le gouvernement ont totalement échoué dans les négociations. Ils ont fait appel à une non moins expérimentée qui est le Médiateur du Faso qui a montré également ses limites. Nous sommes convaincus que s’ils continuent sur cette voie, ils nous amèneront tout droit dans le mur.
Que répondez-vous aux opérateurs économiques qui trouvent que ces grèves perlées des syndicats, sont de nature à les « assassiner » ?
C’est tout à fait normal. Dans notre économie, on ne produit absolument rien. On a tendance à tout importer. C’est là aussi une insuffisance organisationnelle et stratégique en matière économique au Burkina Faso. Une économie qui veut se développer doit pouvoir produire et si elle produit à l’intérieur, elle sera moins dépendante du ministère de l’Economie et des Finances et donc de la Douane. Nous avons les matières premières locales. Il suffit de les valoriser. Avec cette grève, nous voyons que l’orientation économique tournée vers l’importation, est tout à fait inadaptée. Si les commerçants importent et voient leurs marchandises stockées en Douane, parce qu’il n’y a personne pour accomplir les formalités administratives pour leur permettre de les récupérer, ils subissent des conséquences. Les grèves posent des problèmes au niveau des activités commerciales. C’est donc normal qu’ils manifestent leur mécontentement. Ce qui est dommage dans le spectacle désastreux auquel nous sommes en train d’assister, c’est qu’on sait que ce sont des commerçants parfois manipulés, qui manifestent. Si un opérateur économique n’est pas manipulé, il doit pouvoir interpeller aussi bien le gouvernement que les agents du ministère de l’Economie et des finances. Si ce n’est pas le cas, ils sont forcément manipulés. Les grands opérateurs économiques sont là. Ils s’expriment mais je ne les ai pas entendus. Si on trouve des boutiquiers pour aller attaquer les agents du ministère de l’Economie, c’est vraiment dommage. C’est de l’instrumentalisation ridicule qui nous détruit et ne nous amène pas à rechercher objectivement les solutions avec les protagonistes. Le gouvernement doit comprendre que lorsqu’on a une telle difficulté, il faut prendre le problème à bras- le-corps et le gérer.
D’aucuns estiment que les sociétés de placement (il semble que vous en avez une) sont des structures d’exploitation des travailleurs parce qu’elles ponctionnent une bonne partie de leurs salaires. Que leur répondez-vous ?
Je n’ai pas une société de placement. Eddie n’a pas de société de placement. Eddie peut être actionnaire dans une société dont le placement en est une des activités. Voyez-vous, dans ce pays-là, il faut que les gens grandissent. Que ceux qui cherchent à créer ne soient pas tirés vers le bas ! Que ceux qui cherchent à grandir ne soient pas tirés vers le bas ! L’ignorance est la plus grande faiblesse qui anime les acteurs de ce pays. Parlant de société de placement, il y a plusieurs types de placements. Il y a des agents que vous placez en intérim. Il y a ceux que vous placez en externalisation. L’un dans l’autre, c’est une question de gestion des ressources humaines. Pour ce qui concerne le cas spécifique des mines, la plupart des Burkinabè ne savent même pas ce que c’est qu’une société minière. Une mine n’est pas une petite boutique. Dans l’organisation des sociétés minières anglo-saxonnes, le directeur financier peut ne pas répondre du Directeur général ; le directeur d’exploitation peut ne pas répondre du DG. Le directeur financier peut répondre d’un autre patron qui se trouve en Angleterre. Le directeur d’exploitation peut répondre d’un autre patron qui se trouve au Canada. Le Directeur technique répond d’un autre patron qui est en Afrique du Sud. Vous savez pourquoi ? C’est l’externalisation ; les contrats d’objectifs que les uns et les autres signent. On n’a pas la même vision et la même organisation des sociétés que les pays anglo-saxons. Si la direction financière a des objectifs de baisse de coûts ou de charges, elle prendra l’engagement de suivre les dépenses pour les réduire. Cette direction financière ne répondra pas du DG. C’est de sa responsabilité ; elle cherchera coûte que coûte à atteindre ses objectifs. Car, si l’objectif n’est pas atteint, on arrête le contrat. Ce ne sont pas des agents employés comme nous le faisons dans nos petites entreprises, ici. Une société peut avoir à recruter 1000 ou 2000 agents. Croyez-vous que des gens qui ont des contrats d’objectifs au sommet, se soucient de la maladie de la femme ou de l’enfant de tel ou tel agent ? Non. Leur souci, c’est comment atteindre leur objectif contractuel. C’est ainsi qu’il arrive que, pour gérer ce genre de choses, les sociétés minières ne souhaitent pas recruter directement. Elles confient la gestion des ressources humaines à une société extérieure. Cette dernière paie les salaires, elle assure, elle s’occupe de la santé et de tout ce qui est besoin social. Et les gens sont à l’aise et reviennent travailler. C’est cela l’externalisation. Vous mettez à disposition ce personnel à la société minière. Vous signez les contrats et c’est le même salaire que perçoivent ceux qui sont employés directement. Aucun franc n’est retenu au profit de la société d’externalisation. Vous êtes rémunérés autrement : en débours pour les avances que l’on fait pour résoudre l’ensemble des problèmes du personnel et ensuite, en pourcentage sur une assiette de l’ensemble des dépenses engagées pour la gestion du personnel. Cette rémunération est payée directement par la mine et n’est pas retenue sur le salaire des employés. Malheureusement, avec l’insurrection, la désinformation et l’intoxication ont fait croire qu’il y a des sociétés de placement ou d’externalisation qui retiennent 20 à 25% du salaire. Je défie quiconque de donner la preuve qu’une structure où Eddie Komboïgo est engagé, a retenu un franc de son salaire indûment. Ça n’existe pas. On venait de l’insurrection et il fallait faire du mal à des gens ; il fallait les casser parce qu’on se demande comment ceux-ci ont réussi. Si les médiocres ne peuvent pas réussir, pourquoi ceux qui travaillent ne réussiraient-ils pas ? Ce sont ceux qui travaillent qui réussissent. Mais dans ce pays, on a tué ce secteur d’externalisation.
Que voulez-vous dire exactement ?
Notre législation indique qu’il faut que ce soit la société qui emploie directement. On ne se rend pas compte de certains aspects. Ce sont des ouvriers locaux. Ils ne savent même pas que le DG est externalisé et que tout ce qui est personnel expatrié est externalisé mais qui gagne énormément. L’activité qui avait été externalisée à des structures locales, est désormais morte. Elle rapportait des revenus à ces structures locales et des impôts à l’Etat, mais elle a été détruite. Tenez-vous toujours bien que la société peut avoir employé des agents directement, mais la structure d’externalisation se trouve à l’extérieur du pays. Ils ne vous le diront pas. Ils ont signé une convention avec une structure d’externalisation à l’extérieur, qui va envoyer son personnel gérer le personnel local. Voilà donc des revenus qui auraient profité à des nationaux et qui profitent maintenant à des non nationaux. Lorsqu’on est ignorant dans certains secteurs, lorsqu’on n’est pas spécialiste, on pose des questions. J’en veux à beaucoup d’OSC qui ne comprennent pas et qui ne cherchent pas à comprendre. J’en veux à certains gouvernants qui ne cherchent pas à comprendre et qui cherchent à gérer sans guide et sans référence. Pour des gens qui ne sont pas allés à l’école, on peut encore comprendre, mais pour des gens qui ont le niveau de gouverner, si eux-mêmes sont ignorants, « on est mal barré », comme on le dit vulgairement.
Que pensez-vous du remue-ménage observable au sein de la magistrature, qui a conduit à la révocation et à la rétrogradation de certains magistrats ?
La magistrature contribue à l’équilibre et à la paix dans un pays. La Justice doit être organisée de sorte à être irréprochable aux yeux des gouvernants et des justiciables. C’est pourquoi nous n’avons pas trouvé d’inconvénient que la Justice soit indépendante ou autonome, selon l’appellation. Mais la Justice doit avoir un personnel d’une certaine probité et d’une bonne moralité. C’est pourquoi d’ailleurs on prête serment. Mais que vaut le serment encore au Burkina, lorsque vous n’avez pas la conscience professionnelle de la mission que l’on vous a confiée ? Je suis un auxiliaire de justice, j’ai exercé durant plus de vingt ans en tant qu’expert-comptable, mais vous ne trouverez rien à me reprocher. Au Burkina, nous essayons de laisser la Justice se gérer de façon indépendante, mais nous voulons toujours la contrôler. En tout cas, le gouvernement veut toujours contrôler la Justice. Voilà pourquoi il y a tout ce désordre. Si le gouvernement se retire pour une gestion indépendante réelle du Conseil supérieur de la magistrature, vous verrez que les choses iront comme il le faut. Mais si le gouvernement intervient pour protéger un certain nombre de personnes, nous serons toujours dans le désordre. Vous verrez qu’avec le désordre que l’on constate actuellement, le gouvernement tentera de récupérer la direction du CSM.
Avez-vous la preuve que le gouvernement s’immisce dans la gestion de la Justice ? A ce que nous sachions, le président du Faso et le ministre de la Justice ne sont plus au CSM !
Bagoro vous a-t-il dit qu’il n’y est plus ? (Rire) ! En fait, c’est purement théorique. Les relations sociales sont telles que les gens sont assez liés. Le ministre de la Justice est un ancien magistrat. Donc, il a des collègues avec qui il a travaillé. Il a des collaborateurs qui sont des juges. La tentation est très grande. Il connaît certainement le milieu pour se retenir, pour ne pas intervenir. Je ne vais pas l’accuser mais lui-même sait qui est Eddie Komboïgo, son professeur. Je lui dis parfois la vérité sur certains aspects. Je n’ai pas de problème à prendre mon téléphone pour l’appeler et demander à le voir sur certains aspects. Il me reçoit et on se parle. Je le respecte en tant que ministre de la Justice. Il me respecte en tant que président du parti, non plus en tant qu’enseignant. Quand ça ne va pas, j’attire son attention. Ici, je prie Dieu seulement qu’il lui donne la force, le courage et la clairvoyance nécessaires pour pouvoir apaiser ce qui se passe au CSM.
D’aucuns estiment que vous gérez, en tant qu’expert comptable, les affaires du président Roch et que, de ce fait, vous ne pouvez pas être un opposant mordant. Qu’en dites-vous ?
Sourire ! Le président Kaboré est-il un homme d’affaires ? Je vais l’appeler et lui dire qu’il semble qu’il est devenu un homme d’affaires. Je ne crois pas qu’il soit un homme d’affaires. Je l’ai connu quand il était ministre dans un premier temps, ensuite Premier ministre, et après président de l’Assemblée nationale. Mais je n’ai jamais eu, personnellement, des affaires à gérer pour le compte de Roch Marc Christian Kaboré. Et je ne crois pas que le cabinet d’expertise-comptable que j’ai créé, ait eu affaire à Roch Marc Christian Kaboré. Quand il était dans le privé dans les années 80, moi, j’étais encore étudiant. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais le faire. Le ministère de l’Économie et des finances n’a pas besoin d’expert- comptable. L’Assemblée nationale n’en a pas eu besoin non plus. Il peut y avoir l’intervention des experts-comptables dans l’Administration, mais c’est parfois pour des audits organisationnels et fonctionnels. Je crois que les audits financiers sont gérés par les inspecteurs et des contrôleurs des finances fonctionnaires de l’État. Donc, enlevez cela de votre tête. Je n’ai jamais géré un seul franc de Roch. Et ce n’est pas aujourd’hui que je vais le faire. Notre monde se sépare aujourd’hui parce que je suis son concurrent, et pas des moindres.
Que pensez-vous de la rupture des relations diplomatiques entre Taïwan et le Burkina ?
Vous savez, la relation entre deux pays est toujours basée sur des intérêts réciproques. Donc, il appartient aux gouvernants du moment d’évaluer les intérêts de notre pays et de faire le bon choix. Jusqu’aujourd’hui, le gouvernement ne s’est pas encore expliqué en nous montrant les intérêts qualitatifs ou quantitatifs qui ont motivé son choix de revenir avec la Chine Populaire. Nous n’avons pas les éléments d’appréciation. Nous avons dit simplement que nous regrettons, en tant que parti politique, la manière dont la rupture est intervenue. Cela a été discourtois et a manqué d’élégance.
Certains vous accusent de « parler mal » et « d’aimer la vie ». Est-ce votre caractère ?
Est-ce que depuis que nous sommes assis ici, je vous ai parlé mal ?
Je ne crois pas que vous m’ayez parlé mal ! C’est moi qui vous pose la question !
Je ne vous ai pas parlé mal. Je ne sais pas qui vous a dit cela. Dans mes sorties médiatiques, je ne m’attaque à personne. Je suis de ceux qui argumentent. Si je ne partage pas le point de vue de quelqu’un, je le lui dis. Mais si je le dis, d’aucuns peuvent croire que je parle mal. Je m’en voudrais d’attaquer frontalement, ou de sous-estimer qui que ce soit. Peut-être que si mon langage a été mal compris ou que si je me suis mal exprimé, je m’excuse. D’abord, le français n’est pas ma langue maternelle et même ma langue maternelle, je ne la maîtrise pas suffisamment. Donc, il peut y avoir des travers mais je ne suis pas du tout agressif.
Source : Le Pays