La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris dira le 13 juin si elle accède ou non à la demande d’extradition de François Compaoré formulée par les autorités du Burkina Faso, qui souhaitent l’entendre dans l’affaire de l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo, en 1998.
C’est d’une voix presque inaudible que François Compaoré lance aux juges parisiens : «Je refuse d’être remis aux autorités burkinabè.» Dans une salle d’audience surchauffée, ce mercredi 28 mars, figurent en nombre des proches de celui qu’on surnomme le «petit président» et des cadres de son parti politique, le CDP, venus le soutenir, mais aussi des membres du Balai citoyen qui espèrent qu’un procès se tiendra prochainement au Burkina.
François Compaoré a été arrêté à l’aéroport parisien de Roissy fin octobre 2017, en raison d’un mandat d’arrêt émis le 15 mai de la même année et placé sous contrôle judiciaire.
Il avait été entendu le 13 décembre, 19 ans jour pour jour après l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons, affaire pour laquelle la justice burkinabè souhaite son extradition, souhaitant l’entendre pour des faits «d’incitation à assassinats». Son dossier avait d’abord été renvoyé au 7 mars, après un premier refus d’être renvoyé à Ouagadougou.
Peine de mort et conditions de détention
Le Burkina Faso, représenté à cette audience par deux avocats, s’est engagé auprès de la justice française à ce que la peine de mort ne soit ni requise ni appliquée dans le cas où elle serait envisagée au cours d’un procès contre François Compaoré.
Cette peine existe au Burkina Faso mais la dernière exécution remonte à plus de vingt ans.
Un projet de réforme du code pénal et du code de procédure pénal serait également en cours, afin qu’elle soit supprimée. De plus, dans la nouvelle convention bilatérale France-Burkina Faso « en préparation », l’ancienne datant de 1961, il est mentionné que « la peine de mort ne serait (pas) appliquée à toute personne extradée. »
Le deuxième point sur lequel Ouagadougou a tenté de rassurer les autorités judiciaires françaises concerne les conditions de détention carcérale au Burkina Faso. Celles-ci « sont cohérentes avec le niveau de vie. François Compaoré serait incarcéré dans un quartier de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (Maco) où le taux d’occupation est de 75 % et où l’accès à l’alimentation et aux soins seraient plus satisfaisants. »
Des dispositions balayées du revers de la main par les avocats de la défense pour qui cette affaire serait avant tout « politique ». «C’est sans doute parce que le Burkina n’arrive pas à juger Blaise Compaoré qu’il se retourne vers ‘le petit président’» a martelé Me Pierre-Olivier Sur, l’un des avocats de François Compaoré ».
« Acharnement »
Ses avocats contestent même la régularité du mandat d’arrêt, leur client n’étant pas mis en examen au Burkina Faso. Ils ont aussi dénoncé des failles dans cette demande d’extradition et demandé qu’elle soit écartée. Me Pierre-Olivier Sur a ainsi remis en doute l’existence de documents qui, selon la justice burkinabè, incrimineraient François Compaoré, mais n’ont à ce jour pas été transmis à la justice française.
«Si vous n’avez pas ces documents, au bout de dix mois, c’est qu’ils n’existent pas», a-t-il ajouté.
Également au cœur des débats, un arrêt de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples de 2014, condamnant le Burkina Faso pour avoir manqué de diligence dans son enquête sur l’assassinat de Norbert Zongo et de trois de ses compagnons.
Me Anta Guissé, une des avocates représentant le Burkina Faso, a soutenu que c’est notamment en raison de cet arrêt que le dossier avait été rouvert par la justice burkinabé. «Ce qui vous est demandé, c’est que la justice burkinabè puisse faire son travail», a-t-elle ajouté.
Pour elle, François Compaoré s’était «soustrait» à cette justice en quittant le pays et «en prenant la nationalité ivoirienne», un pays qui n’extrade pas ses ressortissants. La défense a pour sa part indiqué que ledit arrêt reproche aussi au Burkina Faso de «ne pas avoir envisagé d’autres pistes» et de «s’acharner sur François Compaoré, déjà entendu à deux reprises en tant que témoin dans cette affaire».
Je n’ai jamais été un criminel. […] Ce que je vis est un harcèlement politique
L’avocate générale a demandé un complément d’information auprès des autorités burkinabè et françaises et relevé un manque de pièces dans le dossier pour pouvoir statuer.
«C’est un très bon signe», s’est réjoui Me Pierre-Olivier Sur. «Cela signifie que nos observations ont été entendues.»
Avant de quitter l’audience, sourire aux lèvres et accompagné de ses soutiens, François Compaoré a affirmé : «Je n’ai jamais été un criminel. […] Ce que je vis est un harcèlement politique.»
Source : Jeune Afrique