Il est, malgré lui, de retour sur le devant la scène. Rattrapé par l’histoire la plus sombre de son passé, celle qui, en 1998, a été vivement cité dans l’enquête de l’assassinat du célèbre journaliste d’investigation burkinabé Norbert Zongo, le 13 décembre 1998. La procédure d’extradition a été enclenchée à Paris et comme par coïncidence c’est le 13 décembre prochain qui serait entendu par le juge sur le dossier le concernant. Retour sur l’histoire relatée par le journal français Le monde.
Une histoire sous forme de polar. Une intrigue mystérieuse de plus qui rend l’histoire politique du Burkina Faso fascinante. Dans l’affaire David Ouédraogo, il y a tous les éléments permettant de comprendre qui était celui que ses compatriotes avaient surnommé le « petit président » : pouvoir, argent, famille.
Dans le cadre de cette enquête, François Compaoré est accusé d’« incitation à assassinat ». Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui par le Burkina Faso. Alors que la France est en train d’examiner la demande d’extradition, le 5 novembre, lors de l’émission « Internationales » de TV5 Monde, en collaboration avec RFI et Le Monde, le président burkinabé Roch Kaboré avait insisté sur son souhait que François Compaoré « vienne répondre de ce qui lui est reproché. »
Trois semaines plus tard, la question est revenue sur le tapis lors de la séance de questions-réponses qui a suivi le discours à la jeunesse africaine prononcé par le président français Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou, mardi 28 novembre. « Avez-vous dans vos valises le frère cadet de notre ancien président ? », avait alors demandé une étudiante. « Parce que nos justices sont indépendantes, lui avait répondu M. Macron, je ne vais pas vous ramener qui que ce soit. La justice française est en train de l’instruire et je ne doute pas qu’elle rendra sa décision et qu’elle sera favorable. Dans le cadre de la séparation des pouvoirs, le gouvernement et la présidence de la République feront tout pour accompagner cette décision et manifester l’exemplarité de la coopération entre la France et le Burkina sur ce sujet. »
Le lien indéfectible du sang
Comme son frère aîné Blaise dans l’enquête sur la répression de l’insurrection qui a provoqué la chute, en octobre 2014, du président burkinabé au pouvoir depuis vingt-sept ans, François Compaoré est poursuivi par la justice d’un pays désormais dirigé par ses amis d’hier. Le destin des deux « enfants terribles » de Ziniaré est noué par le lien du sang. Un lien que la mort de leurs deux parents, lors de leur enfance, rendra encore plus solide.
L’image des deux frères, exfiltrés à bord d’un avion français en direction de Yamoussoukro, capitale politique ivoirienne, au lendemain de la révolte populaire, en est la cristallisation. La veille, le 30 octobre 2014, la maison de François Compaoré était prise pour cible par les manifestants, mise à sac et incendiée. En la visant, les Burkinabés se sont attaqués à celui qui était sans doute le plus détesté.
Mais pourquoi tant de haine ? Serait-ce François qui, comme beaucoup le murmurent, aurait soufflé à l’oreille de Blaise Compaoré l’idée de s’enferrer dans la modification de l’article 37 de la Constitution pour se maintenir au pouvoir ? « Les intérêts économiques qui gravitaient autour de François n’avaient en tout cas aucun intérêt à voir un changement à la tête de l’Etat », lance un ancien proche des Compaoré. « Les Burkinabés ne lui ont jamais pardonné l’affaire Norbert Zongo », estime pour sa part Lassane Savadogo, secrétaire exécutif du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir, et anciennement chargé de mission auprès du premier ministre.
Pour Alpha Yago, responsable du mouvement associatif au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et proche de François Compaoré, l’affaire Ouédraogo résulte d’un complot : « C’est une machination qui a été ourdie par des officines politiques aux intentions machiavéliques qui ont toujours compris que François Compaoré était une véritable épine dans leur pied, les empêchant de réaliser leur ambition première, à savoir succéder à Blaise Compaoré. »
Pour les candidats à la succession de l’époque – Roch Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré ou encore Djibril Bassolé –, François Compaoré est la clé de voûte qu’il faut faire tomber. Devenu conseiller économique à la présidence en 1989, soit deux ans après l’accession au pouvoir par coup d’Etat de Blaise Compaoré, François est le garde-fou de son grand frère.
« Son avis était consulté pour tous les grands dossiers politiques, ajoute Alpha Yago. Mais il n’a jamais pensé à la présidence. Il était soucieux d’une seule chose, c’était de protéger les arrières de son frère. Son entourage l’aurait-il placé sur la liste des prétendants au pouvoir malgré lui ? « Les deux étaient influençables. Ce ne sont pas des gens qui forcent le cours des événements, ils s’adaptent », analyse Lassane Savadogo.
Nébuleuse d’opérateurs économiques
Autour du « petit président » gravite une nébuleuse d’opérateurs économiques qui se sont faits, tout ou en partie, grâce à lui. Diplômé en sciences économiques et spécialisé en agroéconomie après des études partagées entre Niger, Côte d’Ivoire et Etats-Unis, François Compaoré est au départ davantage branché agriculture que marchés financiers. Ses exploitations agricoles, disséminées un peu partout au Burkina Faso et sa fameuse unité de production de cailles, à Koubri, font sa fierté. On connaît peu de chose sur l’homme privé, décrit comme « discret », voire « introverti », si ce n’est sa passion pour le football.
Au milieu des années 1980, François Compaoré commence sa carrière au sein du Fonds de l’eau et de l’équipement rural (FEER). Ses proches lui conseillent alors de ne pas entrer dans les arcanes du pouvoir tenu par son frère. « Nous avons tenté de l’en dissuader. Il pensait qu’il fallait nécessairement entrer dans le système présidentiel pour aider son frère. Mais il fallait l’aider de l’extérieur, en restant au FEER. Il aurait été plus accessible et aurait mieux saisi les attentes des Burkinabés », regrette Achille Tapsoba, président par intérim du CDP, le parti des Compaoré. « C’est par lui que tous les problèmes de Blaise Compaoré ont commencé. Son frère était son talon d’Achille », glisse l’un de ses compagnons.
A chaque homme sa faiblesse. Pour beaucoup, celle de François aura été la richissime femme d’affaires Alizetta Ouedraogo, qui a notamment fait fortune dans le commerce des cuirs et des peaux via son groupe Tan-Aliz. En 1994, elle devient sa belle-mère quand il épouse sa fille Salah. Avec cette alliance, Alizetta Ouédraogo vient d’élaborer une stratégie qui sera utilisée tout au long de la présidence du « Beau Blaise » : l’immixtion des puissances d’argent dans la politique. « La femme était dans toutes les sauces. C’était plus qu’une épine dans le pied de François. Elle a compris qu’après ce mariage, elle avait une clé passe-partout lui permettant de faire n’importe quoi dans l’économie », glisse un proche du clan Compaoré.
Pouvoir, famille et économie… Au sein de l’opinion nationale, le trio ne fait pas bon ménage et contribue à dégrader l’image de François. A la fin des années 1990, les opérateurs économiques sont entrés dans l’arène politique. La loi du silence, que le clan Compaoré semble avoir érigé en principe directeur, fait la part belle aux bruits de couloirs. « Certains affirmaient que François percevait des quotes-parts sur certains produits importés comme le riz ou le ciment », « les entrepreneurs de leur cercle ne payaient pas d’impôt ». Fondées ou non, ces rumeurs entretiennent auprès des populations l’image d’un Etat clanique où règne l’impunité, où quelques privilégiés monopolisent les richesses au détriment des masses pauvres.
Le « petit président » contre le « faiseur de rois »
Cette ingérence de l’économie dans le politique, le second homme de l’ombre de Blaise Compaoré ne la supporte pas. Le tout-puissant Salif Diallo, président de l’Assemblée nationale jusqu’à son décès en août et plusieurs fois ministre sous la présidence Compaoré, voit surtout d’un mauvais œil l’influence grandissante de François sur Blaise.
Nous sommes au début des années 2000. Autour du président, le trio « RSS » pour Roch Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré, est déjà bien en place. « C’était un trio fermé. François Compaoré a tenté de se glisser dedans, et il s’est retrouvé au centre. Ça n’a pas plu », poursuit Lassane Savadogo. La guerre entre François et Salif est déclarée.
De son côté, Salif, en compagnie de ses deux acolytes, s’emploie à étendre son emprise sur le parti, au détriment de la « bande à François ». « Le CDP était devenu une forteresse imprenable. Les trois ont tout fait pour que François Compaoré n’ait aucun rôle dans le CDP », dénonce Alpha Yago.
La riposte ne tardera pas. En octobre 2007, François Compaoré se fait le principal artisan de la création de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap/BC). L’association est décrite par ses détracteurs comme un « enclos familial », un « club d’entrepreneurs » qui faisait du « griotisme pour Blaise Compaoré » en vue de « l’élever au rang de Dieu » et de « s’assurer que leurs intérêts économiques fructifient ».
Salif Diallo y voit un plan destiné à préparer l’arrivée au pouvoir de François Compaoré. Une idée qui révulse celui qui est alors ministre de l’agriculture. En 2008, il claque la porte du gouvernement et se voit placardiser comme ambassadeur en Autriche. François Compaoré, comme Salif Diallo, savait leur cohabitation impossible.
Jeux politiques ouverts
Le « faiseur de rois » exilé, le « petit président » a remporté la première manche. « Blaise a tranché en faveur de son frère. C’était une erreur politique, ça a lancé le compte à rebours, analyse un proche des deux hommes. Car tout le système de Blaise, c’était Salif. Tant que Salif était là, Blaise avait un parapluie qui le protégeait de tout. Vouloir casser cela d’un coup de machette, c’était dangereux. »
La vengeance sera sans merci. En janvier 2014, Salif Diallo, Roch Kaboré et Simon Compaoré quittent le navire CDP pour créer le MPP. Neuf mois plus tard, quelques jours d’insurrection balayeront plus d’un quart de siècle de pouvoir de Blaise Compaoré. « Finalement, Salif a eu raison de François, de tout le monde. Il l’a remporté à la seconde mi-temps », reconnaît Achille Tapsoba.
Mais remporter une bataille ne signifie pas gagner la guerre. S’il semble difficile pour le « petit président » de reconnaître de ses cendres, son parti, le CDP, se porte de mieux en mieux. A deux ans de la présidentielle de 2020, les jeux sont ouverts. Un partout, la balle au centre.
Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance)
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