Aujourd’hui 30 janvier débute le troisième volet du 28e Sommet de l’Union africaine avec les chefs d’État et de gouvernement des 54 pays du continent. Ces derniers vont se pencher sur les dossiers chauds qui divisent la communauté africaine.
Le 28e sommet de l’Union africaine (UA) qui a pour thème « tirer pleinement parti du dividende démographique en investissant dans la jeunesse », s’est ouvert le lundi 22 janvier, dans la capitale éthiopienne. Après la session ordinaire du comité des représentants permanents (du 22 au 24 janvier), puis la session du conseil exécutif en présence des ministres des Affaires étrangères des pays membres (du 25 au 27 janvier), s’ouvre le lundi 30 janvier le Sommet des chefs d’État et de gouvernement. Cette lente montée en gamme de la rencontre se traduit sur le terrain par la multiplication des forces de sécurité, surtout aux abords du complexe en verre et acier de l’UA, situé dans le quartier du vieil aéroport.
Addis-Abeba est le siège de l’UA depuis la fondation en 1962 de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue en 2002 l’Union africaine (UA). Le pays connaît depuis deux ans des mouvements de contestation réprimés dans le sang par les autorités. Les organisateurs du sommet s’étaient inquiétés auprès du gouvernement de la protection effective des délégations venant à Addis-Abeba pour participer au sommet de l’UA. Malgré l’état d’urgence décrété en octobre 2016, l’Éthiopie se fait un point d’honneur d’accueillir les participants dans les conditions optimales de sécurité.
Selon les médias locaux, les autorités ont fait appel aux militaires pour assurer la sécurité dans la capitale pendant la durée du sommet. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères éthiopien a indiqué que plus de 4 000 participants de haut niveau sont attendus, dont 37 chefs d’État et de gouvernement et pas moins de 49 ministres des Affaires étrangères. Sont attendus notamment le roi du Maroc Mohammed VI, le président sud-africain Jacob Zuma, l’Égyptien Abdel Fatah Al-Sissi, le président nigérian Muhammadu Buhari, pour ne citer que ceux-là. Les chefs d’État et de gouvernement posent pour la photo de fin du sommet de Kigali en juillet 2016. © UA
Dossiers chauds
Les chefs d’État et de gouvernement se débattront à huis clos deux jours durant sur plusieurs dossiers. L’ordre du jour de cette rencontre au sommet est particulièrement lourd et promet quelques moments électriques lorsqu’il s’agira de plancher sur des questions qui divisent les décideurs africains. Au programme des festivités :
♦Réformes institutionnelles
Selon Jacob Enoh Eben, porte-parole de la présidente de la Commission de l’UA, « la modernisation de l’Union africaine et de ses instances décisionnaires est l’un des grands chantiers de la mandature de Madame Dlamini-Zuma. L’objectif est de rendre cette organisation panafricaine plus efficiente et plus proche de la population ». A cet effet, au sommet de Kigali en juillet 2016, le président Paul Kagame du Rwanda avait été chargé de préparer un rapport sur les réformes qui s’imposent selon lui, avec ses recommandations. Le président rwandais s’est entouré des experts reconnus, venus des quatre coins du continent, tel que le Camerounais Acha Leke, associé du cabinet McKinsey, le Bissau-Guinéen Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, le Rwandais Donald Kabureka, ancien président de la Banque africaine du développement, la Capverdienne Cristina Duarte, ancien ministre des Finances du Cap-Vert, ainsi que cinq autres spécialistes reconnus.
Les recommandations de la dream-team de Kagame seront présentées aux chefs d’État à Addis-Abeba. Elles concerneront, entre autres, les modalités de la mise en place d’une taxe de 0,2% sur les importations des pays membres afin d’assurer l’autonomie financière de l’UA (principe déjà acté au sommet de Kigali), mais aussi les pouvoirs du chef de la Commission et les modalités de désignation des huit commissaires actuellement nommés par l’assemblée des chefs d’État. Dans le système actuel, le président de la Commission ne peut même pas se séparer d’un de ses commissaires qui travaillent pourtant sous son autorité.
♦Retour du Maroc
Membre fondateur de l’OUA, le Maroc avait quitté cette organisation panafricaine en signe de protestation contre la reconnaissance par cette dernière du Sahara occidental comme Etat souverain. Rabat considère la République arabe saharaouie démocratique (RASD) comme faisant partie intégrante de son territoire. Ayant pris conscience de l’inefficacité de sa politique de chaise vide, le Maroc a demandé en septembre 2016 sa réintégration dans sa famille institutionnelle. Cette demande divise la communauté africaine qui compte quelques-uns des plus puissants soutiens (notamment Algérie, Afrique du Sud et Nigeria) de la RASD. Or, cette réintégration ne peut être repoussée car le royaume chérifien a déjà réussi à réunir le nombre de voix nécessaires à son retour dans le giron de l’UA. Le ton a également changé dans la tour des bureaucrates de l’UA où le porte-parole de la présidente Jacob Enoh Eben affirme à qui veut l’entendre que « le retour du Maroc est sans doute meilleure chance pour trouver une issue définitive à la question saharaouie ».
♦Succession de la présidente Zuma
Candidats à la succession de Madame Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine © Union africaine
Pressée de rentrer en Afrique du Sud où elle vise la présidence de son pays, Mme Dlamini-Zuma ne brigue pas un second mandat. Cinq candidats ont postulé pour la succession de la présidente sortante de la Commission de l’UA. Faute de candidatures crédibles, l’élection avait dû être reportée une première fois, lors du Sommet de Kigali, et le processus de présentation de candidature a dû être réouvert à la demande des chefs d’Etat. A l’Equato-Guinéen Agapito Mba Mokuy et la Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi qui étaient déjà dans les starting-blocks, sont venus s’ajouter trois nouveaux candidats : le Sénégalais Abdoulaye Bathily, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, et la Kényane Amina Mohamed Jibril. Comme l’a déclaré l’ancien président de la Commission, Essy Amara, « C’est moins la qualité de la personne que les rapports de force entre les régions qui va départager les candidats».
Ce 28e Sommet verra aussi les huit commissariats qui composent avec le vice-président et le président le bureau exécutif de la Commission, changer de tête, avec notamment la possibilité pour une Nigériane diriger l’ultra-sensible commissariat de Paix et Sécurité détenu par l’Algérien Smail Chergui, candidat d’ailleurs à sa propre succession. Les rivalités entre l’Algérie et le Nigeria ont toutes les chances cette fois d’éclater au grand jour.
Enfin, l’actuel président de l’Union africaine Idris Déby passera la main vraisemblablement à son homologue guinéen Alpha Condé.
Droits humains
Profitant de la visibilité médiatique dont jouit l’Afrique à l’occasion du Sommet de l’UA, l’organisation humanitaire Amnesty International (AI) publie un document de huit pages rappelant les quatre vérités sur les violations des droits qui se poursuivent impunément à travers le continent. Cette critique abonde dans le sens des reproches souvent faits à la chef de la Commission sortante d’avoir fermé les yeux pendant son mandat sur les problèmes politiques et sécuritaires du continent.
Les chercheurs d’AI évoquent de graves atteintes aux droits humains, survenues notamment dans des pays en proie à des crises politiques. Pointant du doigt l’absence de volonté politique au sein de l’UA pour obliger ses pays membres impliqués dans ces atrocités à rendre des comptes, l’AI appelle le successeur de la présidente sortante à placer la question du respect des droits humains et celle de la protection de la société civile et des libertés au cœur de son action.
« Conformément à son mandat en matière de paix et de sécurité et compte tenu de l’aspiration affichée de l’UA à faire cesser tous les conflits sur le continent d’ici à 2020, le nouveau président de la Commission de l’UA devra, écrit le chercheur d’AI, avec détermination et constance, accorder la priorité à la lutte contre les violations des droits humains qui ont mené aux conflits et/ou sont commises dans ce contexte. »
Amnesty lance également un appel pour que l’UA soutienne l’abolition de la peine de mort en Afrique. Rappelant les progrès faits dans ce domaine par des Etats individuellement, le communiqué n’hésite pas à pointer du doigt « les avancées lentes » de l’UA sur cette question et mise sur le prochain chef de la Commission pour que l’UA soutienne toutes les initiatives en faveur de l’abolition de la peine de morts en Afrique.
Le projet de retrait collectif de la CPI écarté de l’ordre du jour
Évoqué en juillet dernière à Kigali, ce projet de retrait collectif de la Cour pénale internationale, accusée par certains Etats d’être exclusivement hostile aux Africains, ne sera finalement pas abordé. L’obstruction de plusieurs poids lourds du continent a renvoyé la question à plus tard.
Vendredi, les ministres africains des Affaires étrangères réunis à Addis-Abeba ont eu, dit-on, un débat houleux. A l’ordre du jour : la mise en place d’un « comité stratégique » pour élaborer un retrait collectif de la CPI. Plusieurs sources indiquent que c’est le chef de la diplomatie sénégalaise qui a le premier pris la parole pour s’y opposer catégoriquement, suivi par le Nigeria. Deux figures du continent, donc, suivies par le Cap Vert, puis enfin la Zambie, le Botswana, le Liberia et la Tanzanie, qui ont répété qu’ils étaient opposés au retrait de la CPI.
Selon le ministre des Affaires étrangères nigérian, d’autres ministres ont fait savoir de toute façon qu’ils demandaient plus de temps pour déterminer leur position. Résultat : le retrait de la CPI ne figure pas sur l’ordre du jour du sommet, tel que communiqué le lendemain par la Commission africaine. L’argument des partisans de la CPI est que l’Union africaine n’est pas partie au Traité de Rome instituant la Cour. Et que, comme les pays y ont adhéré individuellement, ils ne pouvaient s’en retirer qu’individuellement.
Tirthankar Chanda